- Text Size +

Une fois que leurs larmes cessèrent de couler et qu'elles eurent sécher, Tristan remarqua la chaleur qui se répandait dans son bras droit. Le bout des deux doigts de Raine enveloppait complètement sa main et son poignet. C'était la première fois qu'il lui permettait réellement de le toucher.

 

Il s'était attendu à ce que ce moment -s'il se présentait un jour- soit terrifiant, mais il semblait bon et juste. Il pouvait sentir des reliefs sur le bout de ses doigts, ainsi qu'un timide battement dans ses veines.

 

Comme ayant senti son attention se dissiper, Raine parla de là-haut. "Est-ce que je te serre la main trop fort ?"

 

Un peu surpris par le bruit après un si long silence, Tristan tourna la tête mais il ne pouvait pas vraiment voir son visage à cause de la position de son corps. Il racla sa gorge. "Non... Non, pas du tout. J'étais juste en train de penser."

 

"À quoi est-ce que tu pensais ?"

 

"Je pensais à tes doigts, j'arrive toujours pas à me rendre compte à quel point ils sont grands par rapport à ma main, ou même comparés à moi."

 

"Est-ce que ça te fait peur ?"

 

"Étrangement non. Je pensais que ça serait le cas, mais ils sont si... Chauds."

 

"Peut-être que tu as juste froid. J'ai vu que tu avais déchiré ton t-shirt et que tu t'es plutôt bien éraflé le dos. Est-ce que ça va ?"

 

"Oui, vraiment bien. Ça ne fait pas mal."

 

"Tant mieux. Mais j'ai un peu d'antiseptique qui pourrait t'aider... Si tu veux."

 

"Merci, peut-être plus tard."

 

Ils restèrent assis quelques secondes de plus avant que Raine parle encore, timidement, comme si elle marchait sur des oeufs. "Tristan, tu as bien dit que ça ne te dérangeait pas si je te tenais, n'est-ce pas ?"

 

Il ne se souvenait pas avoir utilisé cette exacte expression et malgré le calme de la situation, ses mots alertaient en lui un sentiment d'anxiété. "Tu veux dire... Me porter ?"

 

"Oui... J'aimerais voir ton visage. Je promets que je ferai très attention !"

 

"Je sais que tu feras attention. C'est juste que... Si tu n'essayes pas de m'attraper, alors peut-être. Je vais juste m'asseoir dans ta main." Même si c'était lui qui prononçait ces mots, Tristan avait du mal à croire ce qu'il disait. S'asseoir dans le main d'une fille ! C'était tellement irréel. Mais il lui faisait véritablement confiance, et c'était ce qu'elle désirait. Si ça l'aidait à se sentir mieux, alors il le ferait.

 

"D'accord, je ne t'attraperai pas." Raine relâcha sa main et étala sa propre main sur le sol, avec ses doigts pointant légèrement vers le haut.

 

Tristan se leva et étira ses jambes. Il regarda en bas vers l'énorme main -à la fois puissante et gracieuse. Sa simple beauté féminine contrastait avec la multitude de plaies en sang sur son poignet et son avant-bras.

 

Ses ongles -faisant chacun la taille d'une main- étaient limés et sans vernis. Les lignes de sa main se baladaient parmi de plus petits reliefs qui formaient ses empreintes digitales et palmaires. Il pouvait voir bien plus de détails que sur sa propre main.

 

Réalisant que cela faisait peut-être une minute qu'il observait, si ce n'est plus, il fit un pas en avant. Il leva ensuite son pied droit par-dessus le pouce et marcha avec légèreté sur sa paume de main, irrationnellement inquiet que son poids puisse lui faire mal. Lorsqu'il ne sentit aucune réaction négative, il apporta son autre pied et resta debout sur le bord de la main.

 

La sensation était presque trop forte pour lui. La peau sous ses pieds semblait vivante, car elle l'était réellement. Elle supportait son pied comme un matelas, mou et pourtant ferme à la fois. Il marcha jusqu'au centre de la main et s'assit, reposant son dos contre les doigts de Raine. Tout en étant assis, ses doigts s'étendirent jusqu'au-dessus de sa tête et il sentit sa main s'ajuster légèrement pour s'adapter à la forme de son corps. Tristan étira ses jambes, ses pieds n'atteignant pas son poignet.

 

Sa chaleur s'infiltrait dans son corps, plusieurs fois plus puissante que celle du bout de ses doigts. Son pouls semblait fusionner avec le sien alors qu'il posait ses mains sur la sienne. Presque vertigineux, il n'entendit quasiment pas ses mots.

 

"Tu es prêt ?"

 

"Oui..."

 

***

 

Raine réussit à peine à retenir un souffle de stupeur lorsque Tristan marcha sur sa paume de main. Elle ne voulait pas l'effrayer. Il paraissait si léger, pas plus de quelques grammes.

 

Son coeur s'arrêta lorsque Tristan s'assit. Sa température monta en flèche alors que son petit corps s'appuya contre ses doigts. Elle ajusta sa main afin d'augmenter la surface de contact autant que possible, à la fois pour le garder au chaud et aussi car elle ne pouvait s'en empêcher.

 

La déchirure dans son dos en exposait une partie, qui touchait le milieu de son majeur. Elle se retrouva involontairement en train de se concentrer sur la sensation de sa peau contre la sienne jusqu'à ce que ses paumes de main touchent la sienne, la ramenant à la réalité. Elle ne pouvait pas se comporter bizarrement devant lui maintenant, pas lorsqu'il lui faisait finalement confiance pour faire ce genre de chose.

 

Elle s'était battue avec le besoin de le porter depuis le premier instant où elle avait eu le droit de le regarder. Les films avaient été de la torture à l'état pur. Elle avait prétendu, mais elle ne s'était concentrée sur aucun d'eux. Elle ne pouvait s'arrêter de penser à lui. À quoi est-ce qu'il pensait ? À quoi est-ce que ça ressemblerait de regarder un film en le tenant contre elle ? Le bol de pop-corn entre eux deux lors du dernier film semblait avoir été un vaste océan qui la séparait de ce qu'elle désirait secrètement.

 

Elle se sentit comme une idiote lorsque le second film se termina. Elle ne savait vraiment pas quoi dire, et honnêtement elle ne se souvenait de rien de tout le film. Elle savait juste qu'elle devait vite sortir de la chambre, ou bien elle ne serait pas capable de résister aux règles qui lui avaient été données.

 

Elle ne croyait pas que ses pensées étaient sexuelles, même si elle mentirait en disant que l'idée ne lui avait pas traversé l'esprit. Mais c'était plus comme si elle avait envie de le protéger. Elle avait voulu l'aider depuis son premier e-mail, et le désir n'avait fait qu'accroître chaque jour. Il était presque tout ce à quoi elle pouvait penser.

 

Elle avait continué à se couper bien sûr. Elle allait devenir folle si elle s'arrêtait de le faire. Cela n'avait vraiment rien à voir avec Tristan. Lorsque Tristan lui avait crié dessus elle avait été blessée, vraiment. Mais c'était une bonne blessure en quelque sorte. Ça lui avait montré qu'il tenait fortement à elle, même si cette émotion avait été de la colère. Ce n'était rien qui se rapprochait de son passé, rien qui s'apparentait à l'horrible et douloureuse solitude, le manque que seules les entailles pouvaient combler, même si ce n'était que temporaire. Au final, si elle continuait à se couper c'était car elle voulait protéger Tristan, elle tenait à maintenir le peu de santé mentale qu'il lui restait.

 

Et pourtant, son coeur se brisa lorsqu'elle vit l'impact de ses actions sur lui. C'était comme si un être aimé vous disait qu'il vous détestait lorsque vous savez au fond de vous que vos actions sont pour le bien-être même de cette personne, et qu'ils ne pourraient jamais le voir.

 

Cependant, ce qu'elle ressentait désormais faisait s’éclipser tout le reste. Elle ne savait pas si le sentiment allait durer, mais elle ne désirait rien de plus que de rester là, assise, avec Tristan dans sa main, pour toute l'éternité. Elle voulait geler le temps, ou au moins se souvenir du moindre détail afin de pouvoir rejouer la scène encore et encore dans son esprit. Elle allait devoir le faire, une fois qu'il serait rentré chez lui. Elle ne pouvait pas y penser maintenant, elle ne le supportait pas.

 

Après que Tristan se soit bien installé, elle demanda : "Tu es prêt ?"

 

Il lui répondit : "Oui..."

 

Ce n'est que plus tard qu'elle réalisa que c'était à elle qu'il fallait poser la question.

 

You must login (register) to review.