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Tristan prit son courage à deux mains. "Oui, je te fais confiance."

Il ne semblait pas convainquant, pas sûr de lui du moins. Mais encore une fois, comment quelqu'un pouvait-il paraître convainquant lorsqu'il faisait face à une géante qui s'était montrée adorable les derniers jours ? Il avait uniquement fait la rencontre d'adolescentes capricieuses auparavant. Mais cette fois, un simple geste brusque de sa part pouvait lui coûter la vie.

"Alors est-ce que tu vas me laisser me retourner et te regarder ?"

La laisser ? En quoi était-il potentiellement capable de la stopper ? Il pouvait se cacher sous le lit mais cela ne serait que temporaire si jamais elle décidait de déplacer le lit. Il essaya de repousser l'inévitable. "Pourquoi est-ce que tu veux me voir ?"

Raine soupira. "Tu as dit que tu me faisais confiance, n'est-ce pas ?"

La douceur de sa voix faisait baisser sa garde à Tristan. Il était temps, plus moyen de revenir en arrière. "Ok, mais à une seule condition."

"Oui ?"

"Tu ne me touches pas, et tu ne m'attrapes pas non plus... Je ne pense être capable d'endurer ça."

"D'accord. Donc je peux me retourner ?"

Tristan prit une grande inspiration et se battit contre le besoin de se cacher. Il recouvrit sa tête avec le col de son sweat, comme si l'habit allait être capable de lui procurer un genre d'invisibilité. "Oui."

Tristan pencha la tête légèrement et regarda par-dessus son sweat-shirt alors que la chaise de la taille d'un immeuble se retournait au loin. Raine se leva et lui fit face. Il pouvait voir qu'elle portait un jean noir déchiré à plusieurs endroits avec des chaussettes assorties, mais il ne leva pas le regard pour examiner le reste de son corps. Ses genoux tremblèrent alors que les jambes géantes se déplaçaient dans sa direction.

Après seulement quelques pas, elle parcourut la plupart de la distance qui les séparait. Il se retrouvait désormais face à ses chaussettes, à environ quelques mètres de lui. Combien de temps comptait-elle rester debout à le regarder comme ça ?

Raine fit un pas en arrière et s'agenouilla, désormais en appui sur ses genoux et ses coudes. Tristan commença à s'en vouloir alors que sa tête s'approchait de lui. Qu'allait-elle bien faire, le manger ? Probablement que cela compterait comme un toucher ! Ses pensées continuèrent de vagabonder follement alors qu'il essayait de ne pas paniquer.

Il l'entendit inhaler juste au-dessus de sa tête et l'ombre s'éloigna un peu. "Tu as besoin d'un bain."

Quoi ? C'était bien la dernière chose qu'il s'attendait à entendre. Perplexe, Tristan retira le col de son sweat et leva les yeux. "Qu'est-ce que -"

Tristan s'arrêta net alors que ses yeux croisaient ceux de Raine pour la première fois. Les deux orbes de saphir l'épiaient comme si elles étaient capables de détruire son esprit ou bien de le sauver, sans même avoir besoin de recourir à son corps. La taille de son visage -pâle mais sans artifice, à l'exception de son piercing- lui faisaient perdre les mots. Plutôt que d'essayer de le manger, sa bouche resta immobile, comme si elle attendait calmement une réponse.

Après quelques secondes, elle dit : "Ça fait combien de temps que tu ne t'es pas lavé ?"

Il pouvait sentir une odeur de pop-corn composer son souffle chaud, mixé à une odeur de menthe. Il n'arrivait pas à penser clairement. Il secoua sa tête pour la vider de cette overdose sensitive et essaya de se concentrer sur sa question. "Je suis là depuis, et bah, depuis la nuit de lundi dernier. Donc environ 5 jours."

"Est-ce que tu aimerais prendre un bain ?"

Tristan recula de quelques pas alors que toutes sortes d'images parcouraient son esprit. "Non !"

"Tristan, j'essaie de t'aider."

"Oui, mais pourquoi est-ce que tu essaies de m'aider ?"

"Tu préférerais que je ne le fasse pas ?" Raine demanda sincèrement, comme si elle était réellement intriguée.

"Non....oui.... Enfin je suis reconnaissant de l'aide que tu m'as apportée."

"Et tu me fais confiance, n'est-ce pas ?"

"Oui, mais souviens-tu de ma règle..."

Elle s'arrêta un instant. "Je pense que je peux quand même t'aider si tu en as envie. Je peux simplement t'apporter un grand bol d'eau chaude."

"D'accord, mais tu ne comptes pas...me regarder..."

"Il n'y a rien que je n'ai jamais vu auparavant -"

"Pas moyen -"

Raine finit sa phrase. "Mais non, je ne vais pas te regarder."

Tristan hésita. Elle semblait sincère. "Je suppose... Que c'est bon dans ce cas."

Son visage s'illumina une fraction de seconde, c'était quasiment imperceptible. "Ok ! Je vais m'en occuper alors. Vas là-bas au coin du lit et enlève tes habits. J'ai quelque chose que tu pourras porter jusqu'à ce que tes affaires soient propres. Tu peux te cacher sous le lit si tu ne veux pas que je te vois lorsque je reviendrais avec l'eau."

Surpassé par la quantité d'information, Tristan cligna des yeux. Elle semblait anticiper ses inquiétudes avant même qu'il ne les formule. Il n'eut pas le temps de penser aussi loin. Comment était-il possible qu'elle ait des vêtements à sa taille ?

Avant qu'il ne puisse répliquer, elle sortit de la chambre. Merde ! Il voulait retourner se terrer sous le lit et rester là-bas, mais elle l'avait probablement piégé en le convainquant de prendre un bain ! Comment se faisait-il qu'une fille géante qu'il connaissait à peine puisse se soucier de son hygiène ?

Tristan avala sa salive avec difficulté et courut jusqu'au coin du lit. Il enleva ce qu'il avait dans ses poches -un portefeuille en cuir, un téléphone à plat et un couteau de poche. Il se déshabilla et se cacha, laissant ses affaires en tas comme demandé. Moins de deux minutes plus tard, Raine revint avec un bol de la taille d'une baignoire et elle le posa sur le sol devant sa table de nuit.

Raine récupéra la pile de vêtements avec deux doigts et dit : "Fais-moi savoir si l'eau est trop chaude ou trop froide." Elle alla ensuite à l'autre bout de la chambre et s'assit à son bureau.

Tristan rampa le long du lit jusqu'à atteindre le bord le plus proche du bol. Il avança de quelques centimètres et leva les yeux. Elle n'allait pas pouvoir le voir de derrière le lit, à moins de le faire délibérément.

Il y avait un gant vert à côté du bol ainsi qu'un genre de robe blanche. Tristan trempa sa main dans le bol pour jauger la température. Il s'immergea finalement et lâcha involontairement un soupir alors que la tension des derniers jours semblait s'éclipser. L'eau parfaitement chaude le réchauffait jusqu'à l'âme, le faisant frissonner de plaisir.

Il se frotta le visage avec l'eau légèrement savonneuse et sentit enfin la saleté qu'il n'avait pas remarqué plus tôt. Il plongea et s'étira pleinement, incapable de toucher les deux côtés du bol à la fois. Après avoir frotté ses cheveux il se sentait propre, et il s'appuya sur le bord du bol.

Il voulait simplement rester là pour toujours. Pourquoi avait-il était aussi effrayé tout à l'heure ? Il aurait pu connaître ça dès le premier jour si il avait seulement demandé. Beaucoup de choses n'avaient aucun sens, mais il pouvait sentir ses résistances diminuer, lentement.

À contre-coeur, et plus car il avait peur que Raine ne tarde pas à revenir, il sortit du bol et frissonna alors que l'air froid s'emparait de son corps. En y repensant, il n'avait pas l'habitude de porter beaucoup de vêtements quand il était en intérieur, mais ces derniers jours il avait été reconnaissant de la quantité qu'il en avait. Peut-être aimait-elle simplement garder sa chambre au frais ?

Tristan s'essuya rapidement avec le gant; ce dernier faisait au moins la taille d'un grand lit pour Tristan. Il ramassa ensuite la 'robe' et enfila ses bras à travers les grandes manches. Le tissu avait un air de coton même s'il était suffisamment épais pour être en tissus éponge. Il remarque une petite bande au sol et il l'utilisa pour serrer son vêtement au niveau de la taille. Les manches dépassaient un peu et la robe touchait le sol, mais elle le tenait au chaud.

Tristan regarda une dernière fois l'eau -qui comportait désormais une fine teinte marron- et il se mit à souhaiter d'avoir un moyen pour la filtrer. La voix de Raine arrêta ses rêveries. "Tristan, tu as terminé ?"

Il cria, incertain du fait que sa voix puisse traverser la chambre. "Oui, j'ai fini ! Merci !"

En quelques secondes elle apparut devant lui. Cette fois il leva les yeux et le regretta presque. Elle devait faire plus de 20 mètres. Ses chevilles elles-même s’élevaient jusqu'à son estomac et elle ne portait même pas de chaussures.

Raine s'agenouilla et approcha son visage à quelques mètres de celui de Tristan. "Tu sens bien meilleur."

"Merci ?"

"Mais on dirait qu'il faudrait que je fasse encore quelques ajustements."

"Ajustements ? Qu'est-ce que tu veux dire ?"

"Ton habit, je l'ai fait un peu trop long."

"C'est toi qui l'a fait ?"

"Oui."

"Comment ? Comment est-ce que tu savais seulement à quoi je ressemblais ? Et d'ailleurs, comment est-ce que tu fais pour toujours prévoir ce dont je vais avoir besoin ?"

"A quelle question veux-tu que je réponde d'abord ?"

"La première... Je t'ai dit que j'étais un alien, à un moment tu m'as même demandé si je n'étais pas un chat..."

"Je suis désolée, c'était une blague." Raine s'exprimait simplement et directement. Elle ne semblait pas trouver sa propre blague très drôle. "Je ne savais pas du tout à quoi tu ressemblais mais j'ai fait quelques estimations."

"Basées sur quoi ?"

"Basées sur la facilité avec laquelle tu utilisais mon téléphone, à quel point tes goûts alimentaires s'apparentaient aux miens. J'ai aussi vu tes traces de pas de la litière du chat et ça m'a aidé à estimer ta taille. En plus de ta taille, je pensais que tu aurais une forme humaine."

Tristan détourna le regard, incapable de dissimuler son embarras.

"Tristan, tu n'as pas à être embarrassé à propos de quoi que ce soit. J'aurais fait exactement comme toi si j'avais été ta place."

Il soupira de résignation. "Et le lit, comment est-ce que tu savais où je me cachais ?"

"Je t'ai entendu mangé la salade la nuit où je t'ai donné des spaghetti et j'ai écouté avec attention quand tu es retourné sous le lit."

"Alors tu n'as jamais été effrayée, même pas au premier jour ?"

"Pas vraiment. Si tu avais voulu me blesser, je me doutais bien que tu ne m'aurais pas envoyé de mail pour me demander de l'aide. Et puis, tes messages semblaient...courtois."

Il avait pourtant l'impression d'avoir été un gros nul dans certains de ses messages, mais il ne releva rien. Cependant, quelque chose le tracassait encore. "Alors, tu n'es pas intéressée par où je viens ? J'ai l'impression d'être dans une dimension différente ou dans un univers parallèle ou un truc du genre. Il y a tellement de choses qui se ressemblent, mais les noms des choses sont différents. Et l'échelle bien entendu."

Raine ne dit rien pendant quelque temps, comme pour choisir ses mots avec précaution. "Tu viens du livre, hein." Elle récita la phrase comme si c'était une constatation, plus qu'une question.

Tristan recula d'un pas, sentant son estomac se retourner. "Attends...comment...comment tu as deviné ça ?"

Un regard inquiet apparut sur le visage de Raine. "Je n'ai pas, enfin... Je pensais -"

Tristan ne lui laissa pas la chance de terminer sa phrase alors que la colère dépassait sa peur. "Tu veux dire que c'est toi qui m'a apporté ici ! Tu as en quelque sorte utilisé ce livre pour me rétrécir et me téléporter là, dans ta chambre !" Une partie de son cerveau trouvait les mots qu'il utilisait complètement ridicules, mais toute la frustration qu'il avait expérimentée depuis la dernière semaine, depuis les derniers mois même, refaisait surface et il ne pouvait arrêter le processus.

Raine se retira, une expression de presque horreur se répandant sur son visage. "Non, non ! Jamais je ne ferais une telle chose !"

"MENTEUSE ! Tu mens !" Cette fois Tristan fit un pas en avant, animé d'une rage qui effrayait une partie de son esprit, une toute partie. "Tu m'as tendu un piège en me faisant venir ici. Pour pouvoir faire quoi ? M'habiller comme une poupée et jouer avec moi à la dînette !"

La voix de Raine se mit à trembler et ses yeux s'humidifièrent. "Non... Le livre, Splinter's Edge. Le vieil homme dans la librairie me l'a donné il y a quelques mois. Il a dit que ça apaiserait la...douleur."

Les souvenirs de la dernière année de Tristan se libérèrent depuis les confins de son esprit, entraînant avec elles un torrent d'émotions. Des émotions qu'ils avaient essayé de supprimer depuis tellement de mois. "LA DOULEUR ! Petite fille riche et gâtée, qui a une femme de ménage afin qu'elle n'ait même pas besoin de lever le petit doigt ! QU'EST-CE QUE TU CONNAIS DE LA DOULEUR, SALOPE !"

Le visage de Raine se décomposa. Ses yeux le quittèrent; leur radiance disparaissant comme des torches succombant à un blizzard dans le froid de l'hiver. Elle se leva doucement et se retourna vers le bol et le gant qu'elle récupéra avant de quitter la chambre.

***

Tristan fit son lit et fixa l'obscurité, incapable de s'endormir. Comment avait-il pu être aussi bête ? Putin ! Qu'est-ce qui n'allait pas avec lui, bordel ?

Il avait vérifié la table de nuit plus tôt mais n'avait ni trouvé d'eau ni nourriture. Raine n'était même pas revenue dans la chambre et il estimait que c'était minuit passé. Pour ce qu'il en savait, il était simplement retourné à la case départ ou pire, surtout qu'elle pourrait bien essayer de lui faire du mal.

Mais il n'avait plus peur désormais. Le regard qu'elle avait lui faisait peur. Il avait l'impression d'avoir pris quelque chose de beau, quelque de chose qu'il aurait subtilisé, détruit. Il savait désormais qu'elle ne lui avait pas menti. Il y avait un mystère qui tournait autour de livre ainsi que de la librairie peut-être, mais elle ne l'avait pas apporté ici délibérément.

Ses mots lui revenaient à l'esprit et le dégoûtaient, c'était mille fois plus douloureux que tout ce qu'il avait pu expérimenter auparavant. Des larmes coulaient de manière incontrôlable le long de ses joues. Il était devenu le monstre et il se détestait pour ça. Il n'allait jamais pouvoir réparer les dommages, pas entièrement.

Tristan caressait de son pouce la lame de son couteau de poche. Il pouvait en finir avec tout ça. Il n'allait plus avoir besoin de souffrir, il n'allait plus avoir de continuer à faire face à...lui-même. La tentation le dépassa quasiment jusqu'à ce qu'il ne réalise que ce serait un nouvel acte égoïste. Non, il allait devoir faire face à ce qu'il venait de faire et il allait devoir trouver un moyen de s'excuser. Les choses n'allaient plus jamais être les même, mais il ne s'enfuirait pas.

Finalement, la nature le rappela à l'ordre et il du se rendre jusqu'au 'cabinet'. Une fois qu'il atteignit les toilettes, il remarqua à son plus grand regret que les livres n'avaient pas été replacés. Il sauta et réussit cette fois à attraper le bord de l'entrée. Il parvint à se hisser et pénétra dans la litière.

Une fois fini, il entendit Raine entrer dans la chambre. Tristan se cacha derrière le genre de porte et essaya de déchiffrer ce qu'elle faisait avec la lumière de la lune. Elle retira ses chaussures et son sweat, révélant le t-shirt qu'elle portait dessous. Tristan commença à se retourner, ne voulant pas envahir sa vie privée. Cependant, plutôt que de continuer à se déshabiller, Raine se dirigea silencieusement dans la salle de bain et ferma la porte.

Tristan en profita pour sauter de la litière et courir jusqu'au lit. Il se faufila dessous et attendit.

Plusieurs minutes passèrent et Tristan commença à s'inquiéter? Elle n'utilisait pas d'eau et ne faisait aucun bruit.

Le temps continua à passer. Qu'est-ce qu'il se passait là-bas ? Il sortit de dessous le lit et commença à marcher vers la porte de la salle de bain. Elle était fermée et il ne pensait pas pouvoir passer dessous. Bien sûr, il ne comptait pas essayer, n'est-ce pas ?

Il resta simplement debout derrière la porte, incertain de ce qu'il fallait faire pour le moment. Avant de pouvoir plus y penser, la porte s'ouvrit et de la lumière l'enveloppa. Raine s'élevait au-dessus de lui et alors que ses yeux s'ajustaient, il vit ce qu'elle venait de faire. Des traces horizontales de sang s'étaient infiltrées au travers de bandages qu'elle avait placés autour de ses avant-bras.

Raine éteignit rapidement les lumières de la salle de bain et plaça ses bras dans son dos. Avec une vitesse ahurissante, elle s'agenouilla, déplaçant l'air alentour avec tellement de force qu'il en recula de quelques pas. Il leva instinctivement les mains au-dessus de sa tête, se préparant à un genre d'impact.

Mais il entendit à la place un murmure dénué de la moindre émotion. "Tristan, va dormir."

Il fut décomposé. Il regarda dans l'ombre de son visage et sa voix se mit à trembler. "Raine, Je suis navré, je suis tellement navré ! Je ne sais pas pourquoi je t'ai dit de telles choses. Je suis une personne horrible. Je comprends que tu me détestes !"

Silence. Lorsque Raine reprit finalement la parole, sa voix résonna avec quelque chose plus profond que de la tristesse, ce qui réduisit le coeur de Tristan en miettes. "Je ne te déteste pas Tristan. Je sais que tu ne pensais ce que tu m'as dit. J'ai bien vu que c'était ta colère qui parlait, et pas toi. Je t'excuse."

Tristan s'écroula et pleura silencieusement. C'en était trop. Comment pouvait-elle le pardonner ? Il ne pensait pas pouvoir se pardonner lui-même, jamais.

"Va te reposer, je sais que tu n'as probablement pas beaucoup dormi cette nuit. Je suis désolée pour le dîner, mais je te ferai quelque chose pour le petit-déjeuner demain matin."

Raine se leva et alla jusqu'à son lit avant de se retourner. "Aussi, ne mentionne pas ce que tu viens de voir dans la salle de bain s'il te plaît. Ça n'a rien à voir avec toi et je préférerais ne pas en parler."

Tristan ne sait pas combien de temps il resta assis là à pleurer. Il ne se souvint pas s'être endormi sur le sol, exténué par la culpabilité. Il ne sentit pas la présence de Raine alors qu'elle recouvrit tendrement d'un morceau de tissu son corps minuscule, il n'entendit pas non plus les mots qu'elle lui souffla avant de retourner se coucher. Il passa simplement la nuit là, au milieu de la chambre, et rêva de sa maison.

***

L'estomac de Tristan le réveilla dans un grondement. Il s'assit, ébloui par le soleil qui le fit cligner des yeux. Ce n'est pas normal que ce soit si lumineux sous le lit.

Sauf qu'il n'était pas sous le lit. Il regarda dans les alentours et repoussa le tissu rouge et blanc qui lui avait servie de couverture. D'où venait-elle ? Raine l'avait sûrement mise sur lui. Ça ressemblait un peu à un bandana ou à un foulard.

Un papier de bloc note à côté de lui attira son attention.

Tristan,
Je suis partie parce que j'ai quelques achats à faire. Je t'ai laissé un peu de nourriture avec tes vêtements. Je devrais revenir dans l'après-midi.

Elle avait vraiment une belle écriture, même s'il n'était pas sûr de savoir pourquoi est-ce qu'il s'intéressait à ça. À sa taille, il pouvait détecter les imperfections bien plus facilement.

Il s’inquiéta tout de même que Camila puisse voir la note avant que Raine ne revienne. C'est pourquoi il tira et la décolla du sol. Plutôt satisfait de sa démonstration de force et ayant l'impression qu'il avait en quelque sorte donné un coup de main, il porta le papier sous le lit et le colla sur le cadre.

Après, Tristan se dirigea vers la table de nuit et dévora autant de frites, oeuf et banane que possible. Il faisait passer tout ça avec de grandes gorgées de jus d'orange qui se trouvait dans une petite tasse de la taille d'une corbeille. Même si la nourriture était chaude, il n'en avait rien à faire. Ce petit-déjeuner était mieux que tous ceux qu'il avait eu auparavant et il se sentait chanceux d'avoir quoique ce soit à manger étant donné comment il s'était comporté.

Il remarqua un genre de goutte bleu-verdâtre dans un coin de l'assiette. Il y trempa son doigt et le sentit. Odeur de menthe, comme du dentifrice. Il recouvrit son doigt de cette matière et marcha jusqu'à une seconde tasse pleine d'eau. Utilisant son doigt, il se frotta les dents du mieux qu'il pouvait et recracha dans la tasse.

Puis il alla faire ses besoins, reconnaissant qu'elle se soit souvenu de remettre les livres devant la litière. Ensuite, il s'assit simplement sur le tapis, derrière un pied du lit au cas où Camila entrait. Il attendit et profita du temps pour réfléchir.

Je me demande bien ce qu'elle peut acheter. Peut-être qu'elle est retournée à la librairie pour parler au monsieur qui lui a vendu ce livre. Pourquoi est-ce qu'il a fallu que je sois un tel connard hier soir ? Je me demande si je pourrais faire quoi que ce soit pour être utile...

Il ne voulait pas penser aux entailles. Elle lui avait demandé de ne pas les mentionner, mais il ne pouvait apparemment pas se détacher de ce qu'il avait vu. En plus des nouvelles coupures, il pensait en avoir détecté plusieurs autres, plus anciennes. Ce n'était pas si simple que ça d'y voir clairement avoir son dos bloquant la lumière de la salle de bain.

Il avait entendu avant que des gens se scarifiaient, mais pourquoi? Il ne connaissait personne qui l'avait déjà fait et pour lui ça n'avait aucun sens. Elle était si belle et avait toute la vie devant elle. Il ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable et partiellement responsable même s'il savait que les cicatrices étaient là avant qu'il n'arrive.

Les douces vibrations du téléphone se firent entendre et il marcha jusqu'au lit avant de déverrouiller le portable.

Raine : Tu es réveillé ?

Tristan : Oui, merci pour le déjeuner, il était délicieux. Aussi, je me sens encore très mal à propos d'hier soir.

Raine : Je m'en suis rendu compte, tu t'es endormi par terre. Je t'ai mis une couverture, mais je ne t'ai pas touché...

Elle était encore inquiète au sujet de la règle ! Il pensait bien l'avoir imposé, certes, mais il ne savait plus trop quoi en penser. C'était comme si le dégoût de son propre comportement rendait de telles choses insignifiantes.

Tristan : Merci. J'ai l'impression d'avoir bien plus froid que d'habitude.

Raine : Je m'en suis aussi rendu compte. Je pense que ça a probablement à voir avec ton corps plus petit.

Raine : Je serai de retour dans une heure.

Tristan : Ok, à tout à l'heure alors.

Tristan passa le reste de son temps à tailler sa robe avec son couteau de poche pour qu'elle ne touche plus le sol. Il raccourcit aussi les manches afin d'avoir les mains libres. Il se sentait plutôt fier de ses ajustements, espérant que ça épargne un peu de temps à Raine.

***

Raine revint avec une pile de livres dans les bras. Elle marcha jusqu'au centre de son tapis violet et regarda avec attention avant de déposer ce qu'elle portait.

Tristan sortir de derrière le lit et regarda la pile de livres qui s'étendait au-dessus de sa tête. Il lut quelques uns des titres écrits sur les arrêtes qui lui faisaient face.

La Physique Quantique au Sujet de la Téléportation
La Construction de la Réalité : Les Sciences des Univers Parallèles
Mondes Parallèles : Un Voyage dans la Création

Tristan la regarda, muet. Même après la façon dont il l'avait traitée, elle voulait toujours faire tout son possible pour l'aider à rentrer chez lui. Il prit la parole avant ne plus avoir aucun mot. "Merci... Tellement..."

Elle s'agenouilla pour mieux le regarder. S'appuyant sur ses coudes et ayant croisé ses avant-bras couverts par les manches, sa bouche s'élevait environ à la même hauteur que sa tête. "C'est la moindre des choses." Son souffle avait une odeur fraîche de cannelle.

"Non... Non c'est vraiment beaucoup. Je ne sais pas comment je pourrais te le rendre."

"Tu n'as pas besoin de me le rendre Tristan. J'ai envie de t'aider. Et ne me demande pas pourquoi. J'en ai juste envie."

"D'accord..."

"Je vois que tu as un peu retravaillé la robe ?"

Il regarda son visage. Elle semblait presque déçue ? Il ne pouvait pas être sûr.

Raine dit : "J'espérais que tu remettes tes anciens habits afin que je puisse laver celui-là."

"Ce n'est pas encore sale."

"Tu es définitivement un mâle humain." Il détecta presque un petit soupçon de sourire dans ses mots.

"Je... Oui, mais ce n'est pas sale."

"Ok, ok. Le déjeuner t'a plu ?"

"Oui, vraiment, c'était la meilleure nourriture que j'ai eu depuis le début."

"Tu sais c'est moi qui l'ai cuisiné, Camila ne me fait pas toujours à manger."

Des souvenirs de ses derniers mots lui revenaient. "Je sais... Je... Je suis un idiot."

"Non, ce n'est pas vrai. Je n'aurais pas du dire ça." Elle changea rapidement de sujet. "Hey, pourquoi ne pas te laisser commencer à lire, et je te rejoindrai une fois que j'aurais fini de préparer à manger ?"

L'estomac de Tristan, encore plein de ce matin, protesta. Mais elle n'allait pas s'attendre à ce qu'il mange beaucoup. "Ça me va."

"Avec quel livre veux-tu commencer ?"

"Mmh, je vais attaquer avec la Construction de la Réalité. Ça m'a l'air intéressant."

"Bon choix." Raine retira le livre du centre de la pile et le plaça devant lui. Elle l'ouvrit à la première page.

"Si tu veux, On peut regarder un autre film ce soir. Je te laisserai choisir cette fois." Elle semblait espérer quelque chose.

"Je... Euh... Quel était le nom du dernier film d'ailleurs ?"

"L'orange mécanique."

"Tu l'as mis pour faire une blague ?"

Raine paraissait confuse. "Non... C'est un de mes films préférés. J'avais pensé qu'il te plairait..."

"Oh, d'accord. Qu'est-ce que tu aimes exactement avec ce film ?"

"La musique. J'aime le classique, Beethoven particulièrement. Et puis le film te fait te... Sentir..." Elle le regarda, comme si elle attendait une réponse.

"Quoi ? Sociopathe ?" Tristan sourit à moitié.

"C'est dur à expliquer. Bref, retourne à ta lecture. Il y a beaucoup de livres à découvrir."

"Chef, oui chef."

Raine se leva et marcha jusqu'à la table de nuit. Elle récupéra l'assiette et les petites tasses. "Je vois que tu as essayé le dentifrice ?"

"Oui, merci !"

"Je n'ai pas réussi à te trouver une brosse à dents suffisamment petite..."

"C'est bon. Je suis un garçon, souviens-toi."

De là où il se trouvait il ne pouvait pas en être sûr, mais il espérait qu'elle ait trouvé sa pauvre blague rigolote.

Raine sembla ignorer son commentaire, ou ne ressentit pas le besoin d'y répondre. Alors qu'elle sortait de la chambre, elle dit : "J'espère que tu aimes les sandwiches au thon."

"C'est le cas..." Mais elle était déjà sortie de la chambre.

Tristan se replongea dans son livre et en lu la première page. Étrangement, il la tourna et poursuivit sa lecture.

Ils passèrent le reste de l'après-midi à manger et lire ensemble. Raine alternait entre son bureau (faisant des recherches sur son ordi) et le pouf. Tristan se changea finalement en reprenant ses anciens vêtements après son insistance continue. Ils sentaient vraiment meilleur. Les avait-elle juste mis dans la machine à laver ?

Occasionnellement, elle lui posait des questions sur la physique, auxquelles il n'avait aucune idée de réponse. Il lui avait dit qu'il avait étudié la physique à l'université. Il ne lui avait pas dit qu'il connaissait à peine les premières bases de la physique quantique. Bien entendu, il inventait parfois certaines choses, car c'était un garçon.

***

Lorsqu'il fut l'heure du film, Tristan proposa Godfather. Raine chercha parmi les propositions sur Cinemarica (qui utilisait étrangement la même couleur rouge et blanche que Netflix), mais elle ne réussit pas à le trouver. Alors il choisit Matrix.

Tristan réussit à manger deux morceaux de pop-corn lors du film. Raine se posa dans le pouf et il s'assit sur le tapis avec le grand bol les séparant. A un moment il hésita à lui demander d'être mis sur le pouf lui aussi, mais il ne parvint à demander.

Il se retrouva à regarder son visage pendant une bonne partie du film, essayant de jauger sa réaction lors de certaines scènes. Une fois que ce fut terminé, il commença à regretter son choix de film et demanda bizarrement : "Alors, t'en as pensé quoi ?"

"Je l'ai déjà vu."

"Oh..."

"Est-ce que tu aimerais que je te dise qu'il m'a plu ?"

Quoi ? Pourquoi poserait-elle une question comme celle-ci. "Non... Tu n'es pas obligée de l'apprécier."

"Je blague, j'ai aimé plusieurs passages."

Les mots qu'il utilisa sortirent de sa bouche sans qu'il puisse y réfléchir. "Lesquels, quand le film s'est terminé ?''

Raine sourit à moitié même s'il pensait qu'elle faisait semblant. "Tu es drôle." Elle se leva, emportant avec elle le bol presque vide désormais. "Bon, je dois m'absenter pour une petite heure. Mets toi à l'aise ou repose toi si tu veux, et se revoit demain."

Raine sortit de la chambre et Tristan resta simplement assis là, choqué. C'était terrible. Sa mauvaise blague n'avait rien fait. Cependant, il avait parfois l'impression qu'elle avait plusieurs personnalités, comme s'il parlait à une gentille fille attentionnée et à un cadavre en même temps. Il ne se considérait sûrement pas comme étant un Casanova, mais les choses étaient juste étranges, comme s'il y avait une tension entre les deux.

Et ça revient, qu'est-ce que j'attends de tout ça, une relation amoureuse ? C'est n'importe quoi.

Tristan retourna sous le lit et réfléchit au comportement de Raine. Où allait-elle à cette heure-ci de la nuit ? Il devait être au moins 23h. Bien sûr certaines filles sortaient le samedi soir, mais juste pour une heure ?

Les questions ne cessaient de se multiplier, jusqu'à ce que le marchand de sable ne décide de venir le rencontrer.

***

Le bruit léger de la porte en train de se refermer réveilla Tristan, comme s'il avait enclenché un moyen de réveil à son retour avant de s'endormir. Il l'écouta entrer dans la salle de bain, fermer la porte puis allumer la lumière.

Il attendit quelques minutes, mais ses frissons ne lui permirent plus de se rendormir. Il contempla ce qu'elle pouvait être en train de faire.

Autant qu'il le refusait, il savait qu'à un certain niveau il était responsable de tout ça. Il ne pouvait oublier les images de ses avant-bras lacérés. Merde. Il ne pouvait pas continuer à ignorer ça.

Une fois qu'il atteignit la porte de la salle de bain, Tristan resta immobile à l'observer, encore une fois déphasé. Il ne pouvait pas juste toquer, si ?

La porte était à peine entrouverte. Le bord le plus proche de la charnière émettait un petit filet de lumière. Il semblait manquer un carreau sur le sol. Il se coucha sur le ventre et glissa sa tête ainsi que ses épaules sous la porte. Son t-shirt s'accrocha à une écharde il se déchira en partie, jusqu'au bas de son dos. Finalement il réussit à pénétrer dans la salle de bain et il fit face au dos de Raine alors qu'elle était assise en tailleur, dirigée vers la baignoire.

Il marcha sur le tapis rouge et continua jusqu'à ce qu'il soit juste derrière elle. Elle portait un t-shirt violet à manches courtes et tenait son bras gauche au-dessus de la baignoire. Son bras droit bougeait doucement.

Il marcha à gauche d'elle jusqu'à ce que sa jambe le bloque pour avancer plus, et il leva les yeux. Sa main droite tenait un couteau jaune, un de ces couteaux au style militaire qui se déployait automatiquement. Il pouvait voir du sang couler depuis son bras gauche dans la baignoire.

Son visage ne montrait aucune expression de douleur, d'irritation ou quoi que ce soit. C'était ses yeux qui le dérangeaient le plus. Vitreux et sans vie, ils fixaient son bras, semblant absorber toute sensation de douleur. Il doutait qu'elle puisse le voir même s'il se mettait à sauter.

Il l'observa faire glisser le bord coupant de la lame contre sa peau, incapable de voir autre chose que le sang couler de l'entaille. C'en était trop pour lui. Des larmes commencèrent à se former et il s'appuya contre sa jambe. Il plaça sa main sur une portion de peau nue à travers une écorchure dans son jean.

Raine sursauta et retira son bras, surprise. Elle le regarda et se concentra lentement sur lui, comme si elle sortait d'une transe. "Tristan... Tu ne devrais pas être là... Comment est-ce que tu es entré ?"

Tristan leva simplement les yeux, des larmes coulant sur ses joues.

Raine continua. "Tu ne devrais pas... Tu dois partir. J'ai bientôt fini, on pourra parler après si tu veux."

Tristan chouina. "Raine... Il faut que tu arrêtes."

Raine secoua la tête. "Je ne peux pas, Tristan. Je suis désolée si ça te blesse. Vraiment. Mais je ne peux pas. Tu as tes règles, j'ai les miennes. N'essaie pas de me faire arrêter. Je ne peux pas."

Tristan cessa de pleurer, se sentant presque en colère à nouveau. "Je m'en fiche des règles, tu peux me toucher ou même me prendre dans tes mains si tu veux, je m'en fiche ! Arrête juste, je t'en supplie !"

"Non... Tristan je suis désolée."

"Pourquoi, je ne comprends pas pourquoi !"

"C'est difficile à expliquer..."

"Alors explique moi !" Tristan surveilla sa colère, ne voulant pas que la nuit dernière se répète. "Je suis désolé, c'est juste que je ne comprends pas, c'est tout."

"Je sais, mais je te promets que tout ira bien. Crois-moi."

Tristan hésita. "Ça t'aide, c'est ça ? Ça t'aide à supporter la douleur."

Raine le regarda simplement, sans réponse.

Tristan enfouit sa main dans sa poche et en sortir son couteau. Il déverrouilla la lame. "D'accord, alors si ça t'aide, laisse moi t'aider !"

Raine cligna des yeux, apparemment étonnée. "Que... Qu'est-ce que tu veux dire ?"

Tristan eu du mal à prononcer les mots. Ils avaient un goût de sable dans sa bouche. "Laisse moi te couper."

Elle ne répondit pas pendant quelques instants. Ils continuèrent simplement leur duel de regard. Finalement elle dit : "Ok."

Il ne s'attendait pas à ce qu'elle dise ça, à ce qu'elle acquiesce. Intérieurement, il espérait que sa lame bien plus fine lui ferait moins mal, que ça lui permettrait de se soigner plus vite. Cependant, il avait aussi l'impression de vouloir pénétrer dans son monde. Il voulait la comprendre mieux et essayer de diminuer le gouffre émotionnel qu'il sentait entre eux deux.

Raine baissa doucement son bras gauche afin qu'il soit posé sur sa jambe, devant lui. Le coeur de Tristan accéléra lorsqu'il vit l'état de son bras d'aussi près. Il ravala le vomis qui montait dans sa gorge.

Sur la partie supérieure de son bras massif, des gouttes de sang de la taille d'un poing se présentaient, mélangées à des entailles horizontales. Plus loin, vers son coude, les coupures étaient plus larges. La chair d'une écorchure en particuliers était si ouverte qu'il doutait seulement que ça puisse se guérir correctement. De plus claires et plus vieilles cicatrices occupaient quasiment tout le reste de son avant-bras.

Tristan pouvait sentir le poids de ses yeux -non plus concentrés sur son bras- peser sur lui. Il marcha vers l'avant de son bras, la partie entre son poignet et l'entaille fraîche la plus proche.

Raine parla doucement. "Ça fonctionne mieux si tu coupes une cicatrice."

Fonctionne mieux ? Qu'est-ce qui fonctionne mieux ? Ça semblait être l'opposé de ce qu'il voulait faire. Il n'eut pas le temps de plus y penser, il ne pouvait pas lui laisser le temps de refuser sa proposition. C'était important.

Il apporta le couteau au bout de son bras et y plaça la lame sur une coupure qui ne semblait pas très vieille, peut-être pas plus âgée que deux ou trois jours.

Sa voix pénétra encore dans son esprit, accentuant cette scène morbide. "Oui, c'en est une bonne."

L'entaille elle-même paraissait bien plus large que sa lame, ce qui était logique. Il ne savait pas vraiment si il allait être capable de la couper.

Mais il réussit. Il appuya et enfonça son couteau de deux ou trois centimètres dans l'ancienne blessure.

Raine murmura : "Plus profond."

Il appuya encore plus jusqu'à ce que la moitié de la lame disparaisse sous sa peau.

"C'est bien."

La lame ne voulait pas bouger lorsqu'il tirait dessus. Capitulant face à un besoin d'urgence, Tristan tira plus fort et commença doucement à ouvrir sa peau. Du sang coulait et recouvrait l'intégralité de sa lame. Il continua à tirer et à tracer dans l'ancienne cicatrice. Il espérait pouvoir en quelque sorte absorber la douleur afin qu'elle n'ait plus besoin de souffrir.

Il ne pouvait plus réfléchir. Il ne pouvait plus sentir les larmes couler le long de ses joues. Il ne remarquait pas les larmes plus grandes qui tombaient d'au-dessus et l'éclaboussaient comme de la pluie. Une de ces énormes larmes atterrit sur la plaie qu'il venait de créer, envoyant une mixture de sang et de pleur dans toutes les directions, s'incrustant dans son t-shirt et sa chevelure.

Lorsqu'il atteignit la fin de la cicatrice, des tremblements secouèrent le bras alors que des larme continuaient à tomber depuis là-haut. Il lâcha le couteau couvert de sang, marcha jusqu'à son pouce de la taille d'un tronc d'arbre et s'assit à côté, agrippant le sommet du doigt avec ses mains. Il ne savait pas quoi dire ou faire, il voulait juste tenir sa main et c'était le seul moyen qu'il avait trouvé pour le faire.

***

Pour la première fois elle ressentit quelque chose, elle ressentit quelque chose vraiment différent de l'éternel douleur déjà vue et du vide qui composait sa vie d'aussi loin qu'elle ne se souvienne. Lorsque Raine sentit la minuscule main s'accrocher à son pouce, quelque chose dans son âme bascula. C'était comme si une partie d'elle qu'elle ne connaissait pas venait soudainement de se manifester et avait fusionné avec son être. Quelque chose de profond, quelque chose qu'elle pensait mort la réchauffait doucement et faisait se dissiper la douleur. Elle n'avait en aucun cas ressentit une libération de sa prison, mais c'était plus comme si quelqu'un d'autre l'avait rejoint dans son confinement. Elle ne sentait plus aussi seule.

Gentiment, elle apporta son index sur sa main et la serra entre lui et son pouce. Elle ne se souvint pas s'être arrêtée de pleurer. Aucun des deux ne s'en souvint.

 

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