Splinter's Edge (French) by dood07, SpookyTaco
Summary:

Tristan trouve un livre peu commun qui le transporte dans un univers parallèle. Rétréci à moins de 15 centimètres de haut, il atterrit chez une étrange lycéenne appelée Raine. Va-t-elle l'aider à survivre et à rentrer chez lui ?


Categories: Teenager (13-19), Adventure, Couples, Gentle, Instant Size Change Characters: None
Growth: None
Shrink: Lilliputian (6 in. to 3 in.)
Size Roles: F/m
Warnings: This story is for entertainment purposes only.
Challenges: None
Series: None
Chapters: 3 Completed: No Word count: 13934 Read: 10612 Published: April 03 2016 Updated: September 25 2017
Story Notes:

Une autre de mes traductions, je ne suis pas l'auteur ! Il s'appelle SpookyTaco, vous pouvez le contacter par mail ou me laisser un mot si vous voulez lui dire quelque chose de particuliers ;)

Disclaimer: All publicly recognizable characters, settings, etc. are the property of their respective owners. The original characters and plot are the property of the author. The author is in no way associated with the owners, creators, or producers of any media franchise. No copyright infringement is intended.

1. Dimensions by dood07

2. Douleur by dood07

3. Raine by dood07

Dimensions by dood07
Tristan retenu l'envie de vomir alors qu'il regardait la fille sortir de la salle de bain et s'asseoir à son bureau, en face de son ordinateur. Les battements de son coeur résonnaient dans ses oreilles; l'adrénaline apaisant momentanément sa migraine grandissante. Après avoir survécu ces deux derniers jours sans eau ni nourriture, il savait qu'elle ne pouvait être que son dernier espoir s'il souhaitait continuer à vivre.

L'email était assez simple :

Salut Raine, Mon nom est Tristan et je suis un alien. S'il te plaît, ne sois pas choquée par cet email. Je suis en ce moment en train de vivre dans ta chambre et j'ai désespéramment besoin d'eau. Je sais que ça doit paraître bizarre, mais s'il te plaît ne sois pas effrayée. N'essaie pas de me chercher. N'appelle pas la police. Si tu fais quoique ce soit d'autre que me procurer de l'eau, je serai mort d'ici demain. Ce n'est pas une situation permanente, juste quelques semaines. S'il te plaît laisse l'eau sous la table de nuit à côté de ton lit. Merci. -Tristan

Couché sur le ventre sous le lit, Tristan regarda l'ombre de la fille qui se redressait dans sa chaise. Des cheveux bruns foncés s'éparpillaient sur ses épaules fines, révélant un visage de porcelaine sans la moindre trace de maquillage. Un anneau d'argent accrochée à sa lèvre inférieure reflétait la lumière d'une lampe adjacente alors que ses yeux bleu ciel épiaient l'écran. Un t-shirt noir à manches longues et un jean bleu déchiré couvraient le reste de son corps.

Soudainement, la fille se leva, observant la chambre. Le coeur de Tristan sursauta, et il se retira plus loin sous le lit. Les bords de la couverture jaune plongeaient bas, empêchant la fille de voir sous le lit sans utiliser de lumière.

Il regarda ses pieds, habillés de chaussettes noires, marcher rapidement sur le tapis aux mèches violettes et s'arrêter devant un téléphone rectangulaire. Plus tôt, Tristan avait désactivé la sonnerie et avait essayé de le pousser sous le lit. Cependant, il ne pouvait pas le faire bouger, estimant qu'il devait pesait presque 150kg. C'est pourquoi il avait fait l'email directement depuis là-bas, en plein milieu de la chambre avant qu'elle ne revienne de sa douche.

La main de Raine apparut et ramassa le téléphone. Tristan retint son souffle, attendant qu'elle appelle la police ou tout autre agence de sécurité qui pouvait bien exister dans ce monde. Depuis qu'il était là, tout ce qu'il avait vu était comme dans son monde, mis à part la taille des objets eux-même bien entendu. Même après deux jours, il avait encore du mal à réaliser la nature irrationnelle de tout ce qui lui arrivait. Seules la faim et la soif lui donnaient suffisamment de force pour surpasser son instinct primitif qui lui disait de rester cacher à jamais.

Il attendit pendant ce qu'il lui sembla être une éternité. À sa plus grande surprise, elle ne semblait pas parler ou même bouger. Il ne savait pas vraiment ce qu'elle faisait. Finalement, elle marcha jusqu'à la porte de sa chambre et sortit.

Tristan souffla l'air qu'il n'avait même pas réalisé retenir et le poids s'enleva de ses épaules. Alors que l'adrénaline se dissipait de son système, il sentit un vertige du à la fatigue. Tristan rampa plus loin sous le lit jusqu'à un grand vêtement, qu'il assumait être un genre de t-shirt, et se coucha sur le dos, regardant dans l'obscurité. Il laissa ses paupières se fermer un court instant, mais c'était tout ce qu'il fallait pour que son subconscient prenne le contrôle, et qu'il ne l'emporte dans un sommeil profond, sans rêve.

***

Tristan se réveilla, se redressant instantanément comme s'il venait de recevoir un puissant choc électrique. Comment avait-il fait pour s'endormir dans un moment aussi critique ? Il ne pouvait se permettre d'être aussi insouciant.

Une vague de mal-être l'envahit. Tristan essaya d'avaler sa salive, sentant sa gorge sèche et sa langue douloureuse. Il ne savait pas combien de temps il était resté endormi, mais il n'allait pas pouvoir survivre un jour de plus sans eau. Si elle l'attrapait maintenant, cela n'aurait plus d'importance. À ce point, rester caché représentait un danger encore plus grand.

Il se déplaça lentement vers le bord du lit, jusque là où se trouvait la table de nuit, et il rampa à découvert sur le sol de bois dur. La lumière de la lune passait à travers la fenêtre, lui permettant de voir les alentours.

En général, le sol était plus propre que ça; des piles de vêtements avaient été renversées. De grandes armoires jaunes s'alignaient sur un mur adjacent aux imposantes étagères de la bibliothèque, remplie de livres et de boîtes de taille variées. Deux carrés pâles et duveteux - peut-être des genres de chaises en eux-même - se trouvaient sur le tapis aux mèches violettes au centre de la chambre. Un sac, apparemment beaucoup utilisé déjà, pendait de telle sorte à faire face au grand écran de télévision sur le mur opposé au lit. Depuis qu'il était arrivé, Tristan n'avait ni vu ni entendu l'écran fonctionner.

La table de nuit en métal s'élevait au-dessus de sa tête, d'environ 7 ou 8 mètres. Le milieu de la table nuit consistait en un genre d'armoire ouverte dont la base reposait sur le sol. Lorsque Tristan vit le verre d'eau posé sur le sol de cette armoire, il pleura presque, et réussit à se retenir de se mettre à sprinter.

Cependant, après avoir marché dans l'armoire, il réalisa que le bord du verre s'étendait un peu au-dessus du niveau de sa tête. Avec un peu de chance, la fille dormait, et il ne voulait pas faire plus de bruit que nécessaire. Et pourtant, il ne pouvait plus se retenir. Attrapant le rebord, il se hissa suffisamment pour que sa tête puisse toucher l'eau et il but à grandes gorgées. Rien de toute sa vie n'avait jamais eu aussi bon goût.

À contre-coeur, il s'arrêta de boire au risque de vomir s'il en ingurgitait trop. À ce moment, il remarqua le téléphone sur le sol à seulement quelques mètres de lui. Comment était-ce possible ? L'avait-elle placé au pied de la table de nuit pour une raison particulière ?

Sa curiosité devenant trop forte, il alluma le téléphone et vit l'application des messages ouverte sur un message que Raine s'était envoyé à elle-même :

Est-ce que tu as faim ?

Un frisson parcourut Tristan; il se sentait comme observé. Il regarda en haut du lit mais ne vit rien qui sortait de l'ordinaire. Il ne pouvait pas déterminer si la fille dormait dans son lit et il n'allait sûrement pas monter pour vérifier. Cependant il voyait suffisamment grâce à la lumière de la lune pour être sûr qu'elle n'était pas en train de l'épier.

Tristan ferma le message et se risqua à y répondre. Il remarqua immédiatement que ses autres messages n'étaient plus dans sa boîte de réception. Elle les avait sûrement supprimés; il se sentit coupable d'avoir violé sa vie privée. Il avait seulement vu quelques sujets de conversation et son nom bien sûr. Et un message du mois dernier qui disait "Joyeux 18ans !", elle devait donc avoir 18 ans, ce qui voulait dire qu'elle était plus jeune que lui, d'un an.

Tristan sélectionna "Écrire" et rédigea sa réponse :

Raine, merci pour l'eau ! Oui, je suis affamé. Peu importe ce que tu arrives à épargner. D'ailleurs je n'ai besoin que de très petites portions d'eau et de nourriture. -Tristan

Il avait hésité pour écrire la dernière phrase, de peur de trop en révéler sur lui. Mais encore une fois, elle supposait bien que ce n'était pas un monstre gigantesque étant donné que la chambre elle-même ne contenait pas tant de cachettes.

Tristan retourna vite sous le lit, grimaçant alors que son estomac gargouillait. Heureusement le son n'était pas audible pour la fille.

Le sommeil ne revint pas facilement. Quelque chose à propos de Raine le dérangeait. Des pensées virevoltaient dans sa tête.

Comment se fait-il qu'elle soit si indulgente ? Si un alien atterrissait dans ma chambre, comment aurais-je réagi ? Probablement pas comme ça, je serais mort de peur. Ou je serais curieux au moins, pas inquiet pour l'alien et sa faim. Cette fille, elle est assez étrange...

Finalement le sommeil s'empara de lui, et la nuit se passa sans rien de plus. Cette fois Tristan rêva. Il rêva du livre, du portail et du jour qui a changé sa vie pour toujours.

***

C'était lundi 12 mars 2012. Le jour avait commencé comme n'importe quel autre. Comme d'habitude, l'alarme de Griffin l'avait réveillé à sept heure du matin, presque deux heures avant que commence sa première heure de cours. Il avait arrêté de se plaindre à propos de cette situation. Même si Griffin dormait dans une chambre séparée de la sienne dans cet appartement à trois chambres, l'alarme pénétrait les murs fins avec aisance. Griffin l'éteignait environ 20 minutes plus tard. Cooper, leur autre colocataire, n'avait pas l'air d'y prêter attention donc Tristan décida simplement de laisser les choses comme elles l'étaient.

Comme les autres matins, il courut quelques kilomètres dans leur ville. Le semestre dernier, il avait couru avec l'équipe de cross country. À 1m55, il n'avait battu aucun record de vitesse, mais il s'en sortait toujours dans le groupe de tête. Il ne participait pas avec l'équipe cette année, même s'ils lui avaient poliment dit qu'il pouvait les rejoindre quand il le voulait. Il ne comptait pas le faire, mais il continuait à courir pour garder son esprit loin de ce qui s'était passé l'année dernière.

Il participait à tous ses cours - biologie, physique et philosophie - mais il avait du mal à rester attentif durant les lectures. En tant que major en biologie, il voulait faire des études dans cette matière, mais il avait perdu de sa motivation en rentrant en retard pour le semestre de février. Il ne savait pas si il voulait continuer là-dedans ou si son rêve de devenir docteur ne signifiait plus rien pour lui.

Aujourd'hui, le poids de ses décisions semblait plus lourd que d'habitude. Il était retourné à l'université malgré la tragédie de l'année précédente, même si il aurait facilement pu éviter de faire ainsi. Il l'avait fait pour continuer à avancer, pour s'engager dans quelque chose qui l'aiderait au moins à maintenir sa santé mentale et à le sortir de dépression. Durant les premières semaines, ça l'avait aidé mais il n'était plus le même. Ses amis avaient remarqué la différence; il ne pouvait pas supporter la pitié dans leur yeux. Ils n'étaient pas ses vrais amis.

Il avait été invité à une fête cette nuit mais avait choisi de l'éviter et de visiter la bibliothèque du campus à la place. Le bâtiment ne fermait jamais et même si il utilisait rarement les livres, il appréciait la tranquillité qui y régnait.

Tristan prit les escaliers jusqu'au cinquième étage et trouva un bureau vide le long du mur avec une fenêtre qui offrait une vue sur les parcs du campus. Le soleil couchant peignait les nuages de nuances dorées et magenta.

Il ouvrit son ordinateur et regarda ses emails. Un message non lu de Caleb :

Hey Tristan, est-ce que tu pourrais aller jeter un coup d'oeil aux questions pour monkeystomp ? Je suis noyé de boulot et je n'ai pas le temps. Sinon, c'est pas grave. Merci !

Caleb n'allait pas à la même université que Tristan mais ils avaient été amis depuis le collège. Ils avaient grandi ensemble dans Nashville et c'était le genre de personne sur qui Tristan pouvait toujours compter. Récemment, il avait passé du temps pour aider Caleb avec son logiciel ouvert. Même si il le suspectait de ne l'impliquer que pour faire distraction, Tristan appréciait l'offre et en apprenait en même temps sur ce qu'ils faisaient.

Tristan passa l'heure suivante à répondre aux propositions de recodage que la communauté leur proposait pour leur projet. Il séparait les recommandations en mettant d'un côté celle qui l'intéressaient et laissait les autres pour Caleb. Il passa aussi du temps à lire plusieurs problèmes. Le projet en question, monkeystomp, aidait d'autres développeurs en trouvant des bugs dans leurs codes. Cependant, l’algorithme avait besoin d'une attention constante pour maîtriser les dernières mises à jour de langage qu'il pouvait supporter.

Environ deux heures plus tard, Tristan regarda la pleine lune qui brillait entre les arbres. Même si les lumières au sol restaient allumées, le lourd silence soutenait son isolation. Il se leva et commença à marcher le long des couloirs.

Quelque chose dans l'allée attira son attention. Tristan se déplaça entre les hautes étagères, attiré par une fine lumière qui émanait de l'étagère du bas du bloc central. Après une inspection plus détaillée, il ne vit aucun livre à cet endroit, juste une place vide. D'où la lumière pouvait-elle bien venir ?

Tristan s'agenouilla; un livre blanc et brillant entra dans son champ de vision. Étrange, peut-être devait-il y jeter un coup d'oeil. Il le retira de l'étagère et examina la couverture. Le titre était Splinter's Edge - pas d'auteur.

Il retourna à son bureau et ouvrit le livre pour simplement trouver que les premières pages étaient blanches. Il feuilleta rapidement le reste du livre. Chaque page était vide. Alors qu'il observait son contenu, les lumières vacillèrent toutes avant de s'éteindre entièrement.

Tristan se prépara à rallumer les lumières du sol comme il l'avait déjà fait auparavant. Il commença à se lever, seulement pour réaliser qu'il était déjà debout. Ou l'était-il ? Il fut enveloppé d'obscurité comme d'une fine couche d'encre, se sentant lourd et presque liquide. Comment se pouvait-il que la bibliothèque soit si noire ? Il n'avait jamais expérimenté une sensation de...vide si total.

Il ne pouvait pas dire s'il était assis ou debout. Il ne pouvait pas déterminer s'il avait les yeux ouverts ou fermés, s'il respirait ou non. Toutes ses informations sensorielles semblaient perdues.

Puis la lune apparut devant lui. Non, pas la lune. Quelque chose apparut devant lui, quelque chose qui projetait de la lumière. Désespéré de fuir l'obscurité qui menaçait de le consumer, il s'approcha de la lumière...

***

Tristan se réveilla en douleur, cette dernière provenant à la fois de sa tête et de sa vessie. Momentanément désorienté, il s'assit; son estomac se resserra alors que des souvenirs récents lui revenaient. Malheureusement la nature prenait le pouvoir et il n'avait pas le temps de se ronger de pitié.

Regardant à l'extérieur depuis le dessous du lit, il étudia son environnement. La lumière du soleil illuminait la chambre, et la porte était entrebâillée. Raine devait être à l'école, ou du moins là où elle se rendait chaque jour. Il espérait au moins qu'elle n'était plus dans le lit.

Tristan posa les yeux sur un objet blanc dans l'angle de la chambre le plus loin de lui - une armoire en bois avec un trou de forme rectangulaire et arrondie tout en bas de la porte. Deux jours plus tôt il avait découvert que cet objet contenait une litière, qu'il n'avait jamais vu en train de se faire changer et, plus important, jamais se faire utiliser.

Il jalonna le sol désert, remarquant une différence critique à mi-chemin. Avant, des livres empilés faisaient office d'escaliers pour lui permettre d'atteindre l'entrée. En rangeant sa chambre, Raine avait correctement arrangé ces livres sur leurs étagères. Elle était trop organisée pour son bien-être...ou pour celui de Tristan.

Il calcula la hauteur de l'entrée et sauta. Comme un joueur de basketball sans aucun espoir de dunk, il retomba très vite.

Je pourrais le faire si j'avais plus d'énergie, pensa-t-il. Ce n'est pas si haut que ça.

Vaincu, mais pas désespéré, ses yeux se baladèrent dans la chambre. La table de nuit attira son attention; Raine y avait déposé un morceau de nourriture et un peu d'eau. Trottinant jusqu'à cet endroit, Tristan sentit qu'il y avait un morceau de fromage dans la coupelle.

Est-ce qu'elle pense que je suis une souris ?

Le grand verre avait été remplacé par une petite tasse d'eau. Un téléphone se trouvait à côté de la table de nuit, mais il était différent du précédent - il semblait être un modèle plus ancien.

Une idée lui parcourut l'esprit. Tristan avala quelques gorgées d'eau et s'assit sur le bas de la table de nuit, les pieds appuyés contre un côté de la tasse. Il poussa fort jusqu'à ce que le haut de la tasse passe par-dessus et que cette dernière tombe à la renverse, éparpillant de l'eau de partout. Heureusement, le déluge avait épargné le téléphone.

Tristan souleva la tasse de la taille d'une corbeille et la porta jusqu'à l'armoire blanche. La retournant, il grimpa dans l'entrée de la litière. Même si l'odeur n'était pas atroce, celle-ci le fit quand-même tousser. Il marcha au fond et fit ce qu'il avait à faire, à la fois humilié et soulagé. À sa taille, il doutait que qui que ce soit remarque l'odeur ou perçoive la moindre différence. Cela l'avait certainement aidé à se décider. Il ne pouvait pas s'imaginer utiliser des toilettes normales ou simplement le faire par terre.

Tristan sauta de la boîte, utilisant la tasse pour descendre. Il se redirigea vers la table de nuit, récupérant un morceau de fromage et en mangeant un bout. Le goût semblait plus fort que ce dont il avait souvenir. Bien sûr, il ne mangeait pas souvent de fromage quand il vivait seul.

Affamé, il emplit sa bouche de nourriture afin de rassasier son estomac. La grande majorité du fromage - presque 60cm carré - restait intacte et lui servirait de réserve pendant plusieurs jours si nécessaire, même s'il n'appréciait pas trop cette idée.

Après avoir marché vers le téléphone, Tristan l'alluma pour voir qu'un message l'attendait : Quel genre de nourriture aimes-tu ?

Encore une fois, pourquoi écrire de tels messages ? pensa-t-il. Peut-être que c'est juste comme ça que les gens se comportent dans ce monde ?

D'après les données du téléphone qu'il avait vues auparavant, Tristan connaissait sa localisation et la date ; Atlanta, Géorgie et c'était le 15 mars 2012. Le livre avait du le transporter physiquement sans altérer le temps. Des questions naissaient dans sa tête, mais elles allaient devoir attendre.

Le programme sur l'écran n'apparaissait plus comme un mail. À la place, il semblait désigné pour être une messagerie instantanée, même s'il n'avait jamais entendu parler d'une application appelée Triangle Chat. Utilisant l'écran tactile, il répondit : Probablement tout ce que tu aimes, juste en plus petites portions. Merci pour le fromage.

Il hésita, puis ajouta : Pardon, j'ai renversé l'eau.

Un peu embarrassé et pas franchement enclin à lui donner plus de précisions, il appuya sur Envoyer. Étonnamment, son nom apparut derrière la bulle du texte. Avait-elle configuré le téléphone pour lui ? Il n'eut pas le temps de contempler l'idée; le portable vibra quelques secondes plus tard.

Raine : C'est pas grave. Je suis en cours pour l'instant. Je t'apporterai quelque chose de différent ce soir.

Quelques secondes passèrent et un autre message apparut.

Raine : À quoi tu ressembles ?

Finalement, une question à peu près normale, enfin aussi normale que possible quand on pose une question à un "alien". Malheureusement, c'était une question à laquelle Tristan n'avait pas envie de répondre.

Tristan : Je suis désolé, je ne me sens pas encore prêt à me décrire.

Raine : C'est pas grave. Combien de temps restes-tu ?

Tristan : Encore quelques semaines, jusqu'à la prochaine pleine lune.

Elle va sûrement penser que je suis un minuscule loup-garou ou un vampire. Il soupira.

Après avoir attendu quelques minutes sans autre réponse, Tristan rampa jusque sous le lit et se coucha, tirant le vêtement sur son corps. Une chaleur réconfortante émanait de son ventre plein et le sommeil l'emporta.

***

Le son de quelque chose qui grattait fit sursauter Tristan. De la lumière fluorescente illuminait les bords du lit, le faisant s'approcher de l'angle le plus proche de ce bruit.

Raine tamisait la litière, faisant tomber des blocs dans une poubelle que Tristan n'avait pas vu auparavant. Après avoir fini, elle replaça la boîte dans l'armoire et emporta la corbeille hors de sa chambre.

Tristan rampa sous le lit, dépité. Comment avait-il fait pour oublier la tasse ! Sans aucun doute l'avait-elle remarquée et réalisé à quoi cela avait servi, sûrement depuis qu'elle avait un indice au sujet de sa taille.

Tristan tira l'intégralité du vêtement autour de son corps et resta simplement étendu, consumé de honte. Il voulait s'enfuir dans le sommeil, mais ce dernier ne venait pas. Donc il se reposa juste, écoutant les moindre mouvements de la fille dans la chambre. Il entendit une assiette se faire poser sur la table de nuit et sentit quelque chose de...appétissant. Sa bouche se mit à saliver et son estomac gargouilla, mais il ne bougea pas.

Raine s'assit à son bureau, peut-être pour lire. Au bout d'un moment, il entendit un bip familier et figura qu'elle essayait sûrement de lui parler. Malgré sa faim atroce, il ne comptait pas répondre avant qu'elle dorme, en supposant que ça lui arrive.

Comme ressentant son malaise, les lumières s’éteignirent et il put l'entendre se coucher dans le lit au-dessus de lui. Il attendit une autre heure entière, comptant littéralement les secondes dans sa tête jusqu'à être sûr qu'elle dormait.

Tristan se sentait nu alors qu'il quittait la protection du lit, même s'il portait le même jean, t-shirt et et sweat-shirt gris qu'à son arrivée. La lune lui procurait de la lumière en se reflétant sur le mur le plus lointain. Une lumière nocturne illuminait la table de nuit, révélant un petit plat de spaghetti, du pain et de la salade ainsi qu'une tasse d'eau.

Ressentant encore un frisson parcourant son dos, Tristan jeta sa tête en l'air pour s'apercevoir encore une fois qu'il n'y avait que les bords sombres de la couverture au-dessus de lui. Pas de visage gigantesque qui l'épiait, en tout cas lui n'en voyait pas.

Les yeux s'aventurant à nouveau vers l'armoire, il remarqua que la tasse avait été remplacée par une pile de livres alignés de sorte à lui former un escalier. L’embrassement laissa place à la faim alors qu'il approchait l'assiette.

Tristan ignora la salade et arracha un morceau de boulette de viande, le jetant dans sa bouche. Il dévora le pain, les pâtes délicieuses et quelques bouchées de laitue et de tomate, la dernière l'éclaboussant de jus. Il finit le repas avec un peu d'eau et s'assit, la main sur l'estomac.

Entièrement rassasié pour la première fois depuis son arrivée, il remarqua que le portable clignotait et se souvint de la vibration de tout à l'heure. Il le ralluma et réduit le son au minimum. Deux messages apparurent :

Raine (15h45): Tu es toujours là ?

Raine (19h30): Est-ce que t'es un chat ?

Tristan se retenu de rire. Est-ce qu'elle blaguait ? Si ce n'était pas le cas, il finit par penser qu'il ne pouvait pas la blâmer pour ça.

Tristan : Merci encore pour la nourriture. Non, je ne suis pas un chat. Est-ce que tu as un chat ?

Il voulait aussi la remercier pour la litière mais ne put se résoudre à le mentionner, même si elle savait sûrement qu'il l'utilisait. [i] J'ai pas envie d'y penser. [/i] Il retourna à son lit, essayant de faire voyager son esprit ailleurs.

Il lui avait dit qu'il ne restait que jusqu'à la prochaine pleine lune. Peu importe comment cela fonctionnait, le livre l'avait transporté ici lors d'une pleine lune et il devait faire la même chose pour retourner dans son univers. C'était d'ailleurs étrange qu'elle ait le même livre sur son étagère, juste en bien plus grande version.

Il devait retourner dans son monde. Il avait réussi à survivre ici pour l'instant mais ça n'allait pas durer longtemps, il allait finir fou à force, ou bien mourir horriblement dans la bouche d'un chat. Le chat ne le trouverait sûrement pas bon, mais cela n'avait pas d'importance. Les chats s'en fichaient; ils s'amusaient juste avec leurs jouets avant qu'ils ne meurent. Des pensées de chats emplissaient son esprit jusqu'à ce que des rêves de chats viennent occuper son sommeil. Chats...

***

Le jour suivant, Tristan se réveilla à l'odeur des tartines grillées. Jugeant la voie libre, il se dirigea vers la table de nuit pour trouver un petit coin de toast avec de la confiture de mûre sur une assiette et un seul morceau de melon ainsi qu'un bouchon plein de céréales. Les repas semblaient devenir toujours plus petits; elle avait probablement réalisé qu'il ne mangeait pas beaucoup.

Les céréales avaient un goût de carton humide étant donné que les flocons d'avoine en eux-même étaient trop gros, mais il apprécia la tartine avec la confiture. Et pourtant, même après s'être rassasié, il restait plus de la moitié de la nourriture. Momentanément coupable, il se rappela qu'avec sa taille la quantité de gaspillage était négligeable.

Tristan utilisa ses toilettes, immédiatement reconnaissant pour les escaliers improvisés. Les livres simplifiaient son escalade. De plus, l'intérieur de la litière sentait et avait une texture différente, comme si la litière elle-même avait été changée. Il n'y avait plus de poussière pour déranger ses poumons.

Est-ce que je suis sérieusement en train de devenir heureux à propos d'une nouvelle litière pour chat ? Pensa-t-il.

Après s'être soulagé, il retourna à la table de nuit. À ce moment, il entendit un bip et se tourna vers le téléphone. Où est-il ? Pensa-t-il. Une sensation de peur l'envahit alors qu'il sentit son estomac se retourner et qu'il failli vomir son petit-déjeuner - la lumière verte familière du téléphone clignotait depuis le dessous le lit.

Tristan s'y rendit et bien sûr, le portable s'y trouvait, hors de vue pour ceux qui se déplaçaient dans la chambre. Comment était-ce possible ? Savait-elle où il se cachait ? Très probablement. Mais si elle le savait, pourquoi ne l'avait-elle pas trouvé ?

Confus et apeuré, Tristan alluma le téléphone et lu le message.

Raine : J'avais un chat, mais il s'est enfui il y a quelques mois. Camila va passer l'aspirateur aujourd'hui. Tu seras en sécurité sous le lit.

Ce n'est pas possible !

Elle connaissait sa position. Il n'avait plus le contrôle de la situation. À n'importe quel moment elle pouvait... elle pouvait... Quoique. Maintenant qu'il y pensait, il n'avait jamais eu le contrôle sur rien du tout. Elle n'avait pas encore essayé de le blesser ou de le capturer ni quoi que ce soit, elle semblait respectueuse de son désir d'intimité. Elle avait même anticipé ses besoins avant qu'il ne lui en fasse part - la nourriture, les escaliers fabriqués par ses soins, le téléphone.

Et pourtant, il ne pouvait empêcher ses nerfs de réagir; ses mains tremblaient alors qu'il écrivait sa réponse.

Tristan : Merci.

C'était tout ce qu'il réussit à écrire et même là, il dut corriger plusieurs fois. Il avait besoin de penser. Un bip...

Raine : Je compte regarder un film ce soir puisque j'ai pas école demain. Tu es le bienvenu si tu veux te joindre à moi.

Un film ? Quel genre de fille passe ses vendredi soirs à regarder un film toute seule ? C'était sûrement un piège; il ne pouvait définitivement pas prendre ce risque, même si un peu de divertissement lui aurait procuré une pause.

Tristan : Désolé, je ne peux pas.

Raine : OK. Mais je tournerai le dos au mur. Je ne me retournerai pas si tu changes d'avis et que tu décides de voir le film.

Tristan ne comprenait toujours pas cette fille. Pourquoi était-elle aussi gentille ? Il devait y avoir un truc.

Tristan : Tu sais où je suis, pourquoi tu n'as pas essayé de me trouver ?

Raine : Tu m'as demandé de ne pas le faire.

C'était tellement vrai, il lui avait demandé d'éviter de le chercher. Cependant, elle l'avait écouté ? Il doutait qu'il aurait fait pareil à sa place. Il se serait comporté comme un enfant dont les parents l'auraient prévenu de ne pas chercher ses cadeaux cachés dans sa propre chambre. Bien sûr qu'il aurait cherché ! Mais encore une fois, il n'était plus un enfant, et elle non plus.

Le fait de penser à des parents balaya sa nervosité, la remplaçant par d'autres émotions.

***

Tristan passa les quelques heures suivantes à se familiariser avec les capacités du portable pour effectuer des recherches internet. Il commença les recherches par son propre nom, Tristan Briggs. Il trouva plusieurs individus qui portaient ce même nom mais il n'en faisait pas partie. S'attendait-il vraiment à se trouver ? Il eut du mal à comprendre même ce que cela aurait signifié.

Presque chaque application semblait familière en terme d'interface mais elles portaient des noms différents. À la place de Chrome il utilisait Breaker pour surfer sur le web. À la place de Google, il utilisait Qwest. À la place de Facebook, Fondue. Il signa pour se faire un compte Fondue, mais ne trouva personne de familier. Rien sur ses parents. Quelques clics sur Caleb Peterson revenaient, mais à moins que Caleb ait pris 10kg, avait laissé sa barbe pousser, avait des enfants et avait déménagé sur Seattle, il doutait que ce soit la même personne.

Pourtant beaucoup de choses étaient les même, comme le président du moment et l'acteur principal de son film préféré, Godfather. Il voulait passer les heures suivantes à explorer le net mais la porte interrompit son train de pensée.

Tristan regarda alors qu'une femme à la peau matte entrait dans la chambre avec un aspirateur. Elle marmonnait une chanson qui lui semblait familière et marcha jusqu'au bureau.

"Oh, dios mío niña."

Tristan écouta alors qu'elle arrangeait les papiers et les livres sur le bureau. Puis il la vit approcher de la litière et il trembla. Elle continuait à chantonner alors qu'elle ramassait les livres qui lui servaient d'escaliers et les reposaient là où ils devaient être.

Bon, fait chier.

Lorsque l'aspirateur se mit en marche, Tristan se retira dans son lit pour se couvrir du volume trop élevé. Il espérait que Raine disait vrai lorsqu'elle lui avait dit qu'elle ne le passerait pas sous le lit. Si jamais ce n'était pas le cas, alors il allait devoir se déplacer vers la table de nuit ou n'importe où dans la chambre, et il se ferait très sûrement remarquer.

Finalement, l'aspirateur s'arrêta et Camila quitta la pièce après avoir arrangé deux trois autres choses. Tristan retourna sur le téléphone et passa le reste de la journée à faire des recherches sur internet jusqu'à s'apercevoir que la batterie affichait un signal rouge.

Il verrouilla immédiatement l'écran afin d'économiser de la batterie. Le portable l'avait vraiment aidé à faire passer sa journée, mais comment faire s'il perdait toute sa batterie ? Comment allait-il faire pour communiquer avec Raine ?

***

Tristan fit une sieste durant l'après-midi et se réveilla lorsqu'il entendit le téléphone vibrer doucement. Il rampa jusqu'à lui et le déverrouilla. Plus que 10% de batterie.

Raine (18h30): Aucune préférence pour le film ? Est-ce que tu aimes le popcorn ?

Ne lui avait-il pas déjà dit qu'il ne comptait pas regarder le film ? Il ne fallait pas lui laisser de faux espoirs, car il n'avait jamais voulu lui en donner.

Tristan (18h31): Je ne compte pas regarder le film ce soir. Le portable n'a presque plus de batterie.

Dès lors que ce fut envoyé, il se sentit mal. Elle avait été si gentille avec lui mais sa peur le contrôlait. Et puis il n'avait pas répondu à sa question au sujet du popcorn. Avant qu'il ne puisse envoyer un autre message, il entendit la chaise du bureau reculer.

Merde ! Elle est dans la chambre ! Bien sûr qu'elle y est, il est 18h30 !

Il se retira rapidement, juste à temps pour voir ses pieds apparaître sur le côté du lit adjacent au téléphone. Après quelques secondes, une main apparut et tira le portable de dessous le lit. Le coeur de Tristan sauta dans sa poitrine alors qu'il se rendait compte de la taille gigantesque de sa main vue depuis une si petite distance. Elle ne semblait pas réelle.

Il regarda les pieds en chaussette marcher le long de la chambre et entendit un léger click, comme si le téléphone venait d'être branché à un chargeur. Elle revint avec un bol et se rassit dans sa chaise confortable. L'odeur du popcorn s'empara de lui, le faisant saliver.

Raine alluma la télévision et quelques secondes plus tard, Tristan entendit de la musique. Ça ressemblait à une introduction de film d'horreur. Super. Juste ce dont il avait besoin. Peut-être qu'il aurait du lui recommander quelque chose ? Faisait-elle ça pour le tester ?

Au bout de quelques minutes, la curiosité l'attira jusqu'au bord du lit d'où il put voir pleinement la télévision, au loin. Dans la chambre à peine illuminée, il pouvait voir qu'elle portait un pull noir bien trop grand pour elle, ses cheveux s'étalant sur le dos son siège.

Il regardait sa main plonger dans le bol de popcorn et en remarqua un bout errant juste à sa gauche, proche du lit. L'avait-elle laissé dans le but de l'attirer ? Très sûrement, c'était impossible qu'il ait roulé jusqu'ici.

Pourtant, il commençait à avoir faim une fois de plus, et cela pouvait être intéressant de goûter du popcorn à sa taille. La regardant avec attention, Tristan se glissa en dehors du lit et récupéra le morceau. Il s'assit silencieusement par terre et commença à le manger, certain qu'il pouvait s'éclipser sous le lit en quelques secondes si le besoin s'en faisait ressentir.

Il finit par regarder tout le film, même s'il n'y comprit rien du tout. Il ne pouvait pas décider si c'était un film d'horreur ou non. Le personnage principal, Alex, avait passé la première moitié du film à torturer, violer et tuer ses victimes. Après avoir été lobotomisé par la gouvernement, il avait perdu toute sa volonté lors de la deuxième moitié du film et avait souffert entre les mains de ceux qu'il avait torturé plus tôt. Lorsque le film se termina, Tristan se sentit sale et mal, oubliant presque son environnement.

Soudainement, Raine éteignit la télévision et parla, "Je sais que tu es là Tristan, tu n'as pas besoin de te cacher, je ne me tournerais pas si tu n'en as pas envie."

Tristan se glaça. Non seulement avait-il temporairement oublié l'état de sa situation, mais il n'avait jamais entendu Raine parler auparavant. Pas une seule fois. Sa voix désintéressée pénétra son esprit d'une qualité quasi hypnotique.

-"Est-ce que le film t'a plu ?"

Tristan était sans voix, étudiant avec précaution ses moindres mouvements. Elle ne bougeait pas du tout. Elle avait juste l'air d'attendre patiemment. Finalement, il répondit, "Je l'ai trouvé un peu bizarre."

Sa voix était étrange. Parlait-il assez fort ? Pouvait-elle seulement l'entendre ? Il ressentit le besoin de reparler, au cas où. "Enfin, ce n'est mon type favori de film."

-"Je suis désolée que le film ne t'ai pas plu."

Encore une fois, le sentiment de culpabilité s'empara de lui. Il avait été très négatif ces derniers temps. "C'est pas grave. Je... Je suis content que tu m'aies invité à regarder."

Après quelques secondes de silence, Tristan se prépara à retourner vers sa cachette, jusqu'à ce qu'elle ne reprenne la parole, "Tristan, est-ce que tu me fais confiance ?"

L'air se glaça dans ses poumons. Quelque chose à propos de sa voix. Allait-elle enfin se retourner et le capturer ? Il lui faisait effectivement confiance à un certain niveau, mais pas suffisamment pour remettre sa vie entre ses mains, même s'il pouvait le faire étant donné qu'elle lui avait quasiment sauvée. Pourtant, comment pouvait-il répondre honnêtement "oui" avec autant de crainte dans son coeur ? Il sentit les que les mots qui allaient sortir de sa bouche étaient sur le point de changer leur relation, et il ne savait pas vraiment s'il y était préparé.

 

Douleur by dood07


Tristan prit son courage à deux mains. "Oui, je te fais confiance."

Il ne semblait pas convainquant, pas sûr de lui du moins. Mais encore une fois, comment quelqu'un pouvait-il paraître convainquant lorsqu'il faisait face à une géante qui s'était montrée adorable les derniers jours ? Il avait uniquement fait la rencontre d'adolescentes capricieuses auparavant. Mais cette fois, un simple geste brusque de sa part pouvait lui coûter la vie.

"Alors est-ce que tu vas me laisser me retourner et te regarder ?"

La laisser ? En quoi était-il potentiellement capable de la stopper ? Il pouvait se cacher sous le lit mais cela ne serait que temporaire si jamais elle décidait de déplacer le lit. Il essaya de repousser l'inévitable. "Pourquoi est-ce que tu veux me voir ?"

Raine soupira. "Tu as dit que tu me faisais confiance, n'est-ce pas ?"

La douceur de sa voix faisait baisser sa garde à Tristan. Il était temps, plus moyen de revenir en arrière. "Ok, mais à une seule condition."

"Oui ?"

"Tu ne me touches pas, et tu ne m'attrapes pas non plus... Je ne pense être capable d'endurer ça."

"D'accord. Donc je peux me retourner ?"

Tristan prit une grande inspiration et se battit contre le besoin de se cacher. Il recouvrit sa tête avec le col de son sweat, comme si l'habit allait être capable de lui procurer un genre d'invisibilité. "Oui."

Tristan pencha la tête légèrement et regarda par-dessus son sweat-shirt alors que la chaise de la taille d'un immeuble se retournait au loin. Raine se leva et lui fit face. Il pouvait voir qu'elle portait un jean noir déchiré à plusieurs endroits avec des chaussettes assorties, mais il ne leva pas le regard pour examiner le reste de son corps. Ses genoux tremblèrent alors que les jambes géantes se déplaçaient dans sa direction.

Après seulement quelques pas, elle parcourut la plupart de la distance qui les séparait. Il se retrouvait désormais face à ses chaussettes, à environ quelques mètres de lui. Combien de temps comptait-elle rester debout à le regarder comme ça ?

Raine fit un pas en arrière et s'agenouilla, désormais en appui sur ses genoux et ses coudes. Tristan commença à s'en vouloir alors que sa tête s'approchait de lui. Qu'allait-elle bien faire, le manger ? Probablement que cela compterait comme un toucher ! Ses pensées continuèrent de vagabonder follement alors qu'il essayait de ne pas paniquer.

Il l'entendit inhaler juste au-dessus de sa tête et l'ombre s'éloigna un peu. "Tu as besoin d'un bain."

Quoi ? C'était bien la dernière chose qu'il s'attendait à entendre. Perplexe, Tristan retira le col de son sweat et leva les yeux. "Qu'est-ce que -"

Tristan s'arrêta net alors que ses yeux croisaient ceux de Raine pour la première fois. Les deux orbes de saphir l'épiaient comme si elles étaient capables de détruire son esprit ou bien de le sauver, sans même avoir besoin de recourir à son corps. La taille de son visage -pâle mais sans artifice, à l'exception de son piercing- lui faisaient perdre les mots. Plutôt que d'essayer de le manger, sa bouche resta immobile, comme si elle attendait calmement une réponse.

Après quelques secondes, elle dit : "Ça fait combien de temps que tu ne t'es pas lavé ?"

Il pouvait sentir une odeur de pop-corn composer son souffle chaud, mixé à une odeur de menthe. Il n'arrivait pas à penser clairement. Il secoua sa tête pour la vider de cette overdose sensitive et essaya de se concentrer sur sa question. "Je suis là depuis, et bah, depuis la nuit de lundi dernier. Donc environ 5 jours."

"Est-ce que tu aimerais prendre un bain ?"

Tristan recula de quelques pas alors que toutes sortes d'images parcouraient son esprit. "Non !"

"Tristan, j'essaie de t'aider."

"Oui, mais pourquoi est-ce que tu essaies de m'aider ?"

"Tu préférerais que je ne le fasse pas ?" Raine demanda sincèrement, comme si elle était réellement intriguée.

"Non....oui.... Enfin je suis reconnaissant de l'aide que tu m'as apportée."

"Et tu me fais confiance, n'est-ce pas ?"

"Oui, mais souviens-tu de ma règle..."

Elle s'arrêta un instant. "Je pense que je peux quand même t'aider si tu en as envie. Je peux simplement t'apporter un grand bol d'eau chaude."

"D'accord, mais tu ne comptes pas...me regarder..."

"Il n'y a rien que je n'ai jamais vu auparavant -"

"Pas moyen -"

Raine finit sa phrase. "Mais non, je ne vais pas te regarder."

Tristan hésita. Elle semblait sincère. "Je suppose... Que c'est bon dans ce cas."

Son visage s'illumina une fraction de seconde, c'était quasiment imperceptible. "Ok ! Je vais m'en occuper alors. Vas là-bas au coin du lit et enlève tes habits. J'ai quelque chose que tu pourras porter jusqu'à ce que tes affaires soient propres. Tu peux te cacher sous le lit si tu ne veux pas que je te vois lorsque je reviendrais avec l'eau."

Surpassé par la quantité d'information, Tristan cligna des yeux. Elle semblait anticiper ses inquiétudes avant même qu'il ne les formule. Il n'eut pas le temps de penser aussi loin. Comment était-il possible qu'elle ait des vêtements à sa taille ?

Avant qu'il ne puisse répliquer, elle sortit de la chambre. Merde ! Il voulait retourner se terrer sous le lit et rester là-bas, mais elle l'avait probablement piégé en le convainquant de prendre un bain ! Comment se faisait-il qu'une fille géante qu'il connaissait à peine puisse se soucier de son hygiène ?

Tristan avala sa salive avec difficulté et courut jusqu'au coin du lit. Il enleva ce qu'il avait dans ses poches -un portefeuille en cuir, un téléphone à plat et un couteau de poche. Il se déshabilla et se cacha, laissant ses affaires en tas comme demandé. Moins de deux minutes plus tard, Raine revint avec un bol de la taille d'une baignoire et elle le posa sur le sol devant sa table de nuit.

Raine récupéra la pile de vêtements avec deux doigts et dit : "Fais-moi savoir si l'eau est trop chaude ou trop froide." Elle alla ensuite à l'autre bout de la chambre et s'assit à son bureau.

Tristan rampa le long du lit jusqu'à atteindre le bord le plus proche du bol. Il avança de quelques centimètres et leva les yeux. Elle n'allait pas pouvoir le voir de derrière le lit, à moins de le faire délibérément.

Il y avait un gant vert à côté du bol ainsi qu'un genre de robe blanche. Tristan trempa sa main dans le bol pour jauger la température. Il s'immergea finalement et lâcha involontairement un soupir alors que la tension des derniers jours semblait s'éclipser. L'eau parfaitement chaude le réchauffait jusqu'à l'âme, le faisant frissonner de plaisir.

Il se frotta le visage avec l'eau légèrement savonneuse et sentit enfin la saleté qu'il n'avait pas remarqué plus tôt. Il plongea et s'étira pleinement, incapable de toucher les deux côtés du bol à la fois. Après avoir frotté ses cheveux il se sentait propre, et il s'appuya sur le bord du bol.

Il voulait simplement rester là pour toujours. Pourquoi avait-il était aussi effrayé tout à l'heure ? Il aurait pu connaître ça dès le premier jour si il avait seulement demandé. Beaucoup de choses n'avaient aucun sens, mais il pouvait sentir ses résistances diminuer, lentement.

À contre-coeur, et plus car il avait peur que Raine ne tarde pas à revenir, il sortit du bol et frissonna alors que l'air froid s'emparait de son corps. En y repensant, il n'avait pas l'habitude de porter beaucoup de vêtements quand il était en intérieur, mais ces derniers jours il avait été reconnaissant de la quantité qu'il en avait. Peut-être aimait-elle simplement garder sa chambre au frais ?

Tristan s'essuya rapidement avec le gant; ce dernier faisait au moins la taille d'un grand lit pour Tristan. Il ramassa ensuite la 'robe' et enfila ses bras à travers les grandes manches. Le tissu avait un air de coton même s'il était suffisamment épais pour être en tissus éponge. Il remarque une petite bande au sol et il l'utilisa pour serrer son vêtement au niveau de la taille. Les manches dépassaient un peu et la robe touchait le sol, mais elle le tenait au chaud.

Tristan regarda une dernière fois l'eau -qui comportait désormais une fine teinte marron- et il se mit à souhaiter d'avoir un moyen pour la filtrer. La voix de Raine arrêta ses rêveries. "Tristan, tu as terminé ?"

Il cria, incertain du fait que sa voix puisse traverser la chambre. "Oui, j'ai fini ! Merci !"

En quelques secondes elle apparut devant lui. Cette fois il leva les yeux et le regretta presque. Elle devait faire plus de 20 mètres. Ses chevilles elles-même s’élevaient jusqu'à son estomac et elle ne portait même pas de chaussures.

Raine s'agenouilla et approcha son visage à quelques mètres de celui de Tristan. "Tu sens bien meilleur."

"Merci ?"

"Mais on dirait qu'il faudrait que je fasse encore quelques ajustements."

"Ajustements ? Qu'est-ce que tu veux dire ?"

"Ton habit, je l'ai fait un peu trop long."

"C'est toi qui l'a fait ?"

"Oui."

"Comment ? Comment est-ce que tu savais seulement à quoi je ressemblais ? Et d'ailleurs, comment est-ce que tu fais pour toujours prévoir ce dont je vais avoir besoin ?"

"A quelle question veux-tu que je réponde d'abord ?"

"La première... Je t'ai dit que j'étais un alien, à un moment tu m'as même demandé si je n'étais pas un chat..."

"Je suis désolée, c'était une blague." Raine s'exprimait simplement et directement. Elle ne semblait pas trouver sa propre blague très drôle. "Je ne savais pas du tout à quoi tu ressemblais mais j'ai fait quelques estimations."

"Basées sur quoi ?"

"Basées sur la facilité avec laquelle tu utilisais mon téléphone, à quel point tes goûts alimentaires s'apparentaient aux miens. J'ai aussi vu tes traces de pas de la litière du chat et ça m'a aidé à estimer ta taille. En plus de ta taille, je pensais que tu aurais une forme humaine."

Tristan détourna le regard, incapable de dissimuler son embarras.

"Tristan, tu n'as pas à être embarrassé à propos de quoi que ce soit. J'aurais fait exactement comme toi si j'avais été ta place."

Il soupira de résignation. "Et le lit, comment est-ce que tu savais où je me cachais ?"

"Je t'ai entendu mangé la salade la nuit où je t'ai donné des spaghetti et j'ai écouté avec attention quand tu es retourné sous le lit."

"Alors tu n'as jamais été effrayée, même pas au premier jour ?"

"Pas vraiment. Si tu avais voulu me blesser, je me doutais bien que tu ne m'aurais pas envoyé de mail pour me demander de l'aide. Et puis, tes messages semblaient...courtois."

Il avait pourtant l'impression d'avoir été un gros nul dans certains de ses messages, mais il ne releva rien. Cependant, quelque chose le tracassait encore. "Alors, tu n'es pas intéressée par où je viens ? J'ai l'impression d'être dans une dimension différente ou dans un univers parallèle ou un truc du genre. Il y a tellement de choses qui se ressemblent, mais les noms des choses sont différents. Et l'échelle bien entendu."

Raine ne dit rien pendant quelque temps, comme pour choisir ses mots avec précaution. "Tu viens du livre, hein." Elle récita la phrase comme si c'était une constatation, plus qu'une question.

Tristan recula d'un pas, sentant son estomac se retourner. "Attends...comment...comment tu as deviné ça ?"

Un regard inquiet apparut sur le visage de Raine. "Je n'ai pas, enfin... Je pensais -"

Tristan ne lui laissa pas la chance de terminer sa phrase alors que la colère dépassait sa peur. "Tu veux dire que c'est toi qui m'a apporté ici ! Tu as en quelque sorte utilisé ce livre pour me rétrécir et me téléporter là, dans ta chambre !" Une partie de son cerveau trouvait les mots qu'il utilisait complètement ridicules, mais toute la frustration qu'il avait expérimentée depuis la dernière semaine, depuis les derniers mois même, refaisait surface et il ne pouvait arrêter le processus.

Raine se retira, une expression de presque horreur se répandant sur son visage. "Non, non ! Jamais je ne ferais une telle chose !"

"MENTEUSE ! Tu mens !" Cette fois Tristan fit un pas en avant, animé d'une rage qui effrayait une partie de son esprit, une toute partie. "Tu m'as tendu un piège en me faisant venir ici. Pour pouvoir faire quoi ? M'habiller comme une poupée et jouer avec moi à la dînette !"

La voix de Raine se mit à trembler et ses yeux s'humidifièrent. "Non... Le livre, Splinter's Edge. Le vieil homme dans la librairie me l'a donné il y a quelques mois. Il a dit que ça apaiserait la...douleur."

Les souvenirs de la dernière année de Tristan se libérèrent depuis les confins de son esprit, entraînant avec elles un torrent d'émotions. Des émotions qu'ils avaient essayé de supprimer depuis tellement de mois. "LA DOULEUR ! Petite fille riche et gâtée, qui a une femme de ménage afin qu'elle n'ait même pas besoin de lever le petit doigt ! QU'EST-CE QUE TU CONNAIS DE LA DOULEUR, SALOPE !"

Le visage de Raine se décomposa. Ses yeux le quittèrent; leur radiance disparaissant comme des torches succombant à un blizzard dans le froid de l'hiver. Elle se leva doucement et se retourna vers le bol et le gant qu'elle récupéra avant de quitter la chambre.

***

Tristan fit son lit et fixa l'obscurité, incapable de s'endormir. Comment avait-il pu être aussi bête ? Putin ! Qu'est-ce qui n'allait pas avec lui, bordel ?

Il avait vérifié la table de nuit plus tôt mais n'avait ni trouvé d'eau ni nourriture. Raine n'était même pas revenue dans la chambre et il estimait que c'était minuit passé. Pour ce qu'il en savait, il était simplement retourné à la case départ ou pire, surtout qu'elle pourrait bien essayer de lui faire du mal.

Mais il n'avait plus peur désormais. Le regard qu'elle avait lui faisait peur. Il avait l'impression d'avoir pris quelque chose de beau, quelque de chose qu'il aurait subtilisé, détruit. Il savait désormais qu'elle ne lui avait pas menti. Il y avait un mystère qui tournait autour de livre ainsi que de la librairie peut-être, mais elle ne l'avait pas apporté ici délibérément.

Ses mots lui revenaient à l'esprit et le dégoûtaient, c'était mille fois plus douloureux que tout ce qu'il avait pu expérimenter auparavant. Des larmes coulaient de manière incontrôlable le long de ses joues. Il était devenu le monstre et il se détestait pour ça. Il n'allait jamais pouvoir réparer les dommages, pas entièrement.

Tristan caressait de son pouce la lame de son couteau de poche. Il pouvait en finir avec tout ça. Il n'allait plus avoir besoin de souffrir, il n'allait plus avoir de continuer à faire face à...lui-même. La tentation le dépassa quasiment jusqu'à ce qu'il ne réalise que ce serait un nouvel acte égoïste. Non, il allait devoir faire face à ce qu'il venait de faire et il allait devoir trouver un moyen de s'excuser. Les choses n'allaient plus jamais être les même, mais il ne s'enfuirait pas.

Finalement, la nature le rappela à l'ordre et il du se rendre jusqu'au 'cabinet'. Une fois qu'il atteignit les toilettes, il remarqua à son plus grand regret que les livres n'avaient pas été replacés. Il sauta et réussit cette fois à attraper le bord de l'entrée. Il parvint à se hisser et pénétra dans la litière.

Une fois fini, il entendit Raine entrer dans la chambre. Tristan se cacha derrière le genre de porte et essaya de déchiffrer ce qu'elle faisait avec la lumière de la lune. Elle retira ses chaussures et son sweat, révélant le t-shirt qu'elle portait dessous. Tristan commença à se retourner, ne voulant pas envahir sa vie privée. Cependant, plutôt que de continuer à se déshabiller, Raine se dirigea silencieusement dans la salle de bain et ferma la porte.

Tristan en profita pour sauter de la litière et courir jusqu'au lit. Il se faufila dessous et attendit.

Plusieurs minutes passèrent et Tristan commença à s'inquiéter? Elle n'utilisait pas d'eau et ne faisait aucun bruit.

Le temps continua à passer. Qu'est-ce qu'il se passait là-bas ? Il sortit de dessous le lit et commença à marcher vers la porte de la salle de bain. Elle était fermée et il ne pensait pas pouvoir passer dessous. Bien sûr, il ne comptait pas essayer, n'est-ce pas ?

Il resta simplement debout derrière la porte, incertain de ce qu'il fallait faire pour le moment. Avant de pouvoir plus y penser, la porte s'ouvrit et de la lumière l'enveloppa. Raine s'élevait au-dessus de lui et alors que ses yeux s'ajustaient, il vit ce qu'elle venait de faire. Des traces horizontales de sang s'étaient infiltrées au travers de bandages qu'elle avait placés autour de ses avant-bras.

Raine éteignit rapidement les lumières de la salle de bain et plaça ses bras dans son dos. Avec une vitesse ahurissante, elle s'agenouilla, déplaçant l'air alentour avec tellement de force qu'il en recula de quelques pas. Il leva instinctivement les mains au-dessus de sa tête, se préparant à un genre d'impact.

Mais il entendit à la place un murmure dénué de la moindre émotion. "Tristan, va dormir."

Il fut décomposé. Il regarda dans l'ombre de son visage et sa voix se mit à trembler. "Raine, Je suis navré, je suis tellement navré ! Je ne sais pas pourquoi je t'ai dit de telles choses. Je suis une personne horrible. Je comprends que tu me détestes !"

Silence. Lorsque Raine reprit finalement la parole, sa voix résonna avec quelque chose plus profond que de la tristesse, ce qui réduisit le coeur de Tristan en miettes. "Je ne te déteste pas Tristan. Je sais que tu ne pensais ce que tu m'as dit. J'ai bien vu que c'était ta colère qui parlait, et pas toi. Je t'excuse."

Tristan s'écroula et pleura silencieusement. C'en était trop. Comment pouvait-elle le pardonner ? Il ne pensait pas pouvoir se pardonner lui-même, jamais.

"Va te reposer, je sais que tu n'as probablement pas beaucoup dormi cette nuit. Je suis désolée pour le dîner, mais je te ferai quelque chose pour le petit-déjeuner demain matin."

Raine se leva et alla jusqu'à son lit avant de se retourner. "Aussi, ne mentionne pas ce que tu viens de voir dans la salle de bain s'il te plaît. Ça n'a rien à voir avec toi et je préférerais ne pas en parler."

Tristan ne sait pas combien de temps il resta assis là à pleurer. Il ne se souvint pas s'être endormi sur le sol, exténué par la culpabilité. Il ne sentit pas la présence de Raine alors qu'elle recouvrit tendrement d'un morceau de tissu son corps minuscule, il n'entendit pas non plus les mots qu'elle lui souffla avant de retourner se coucher. Il passa simplement la nuit là, au milieu de la chambre, et rêva de sa maison.

***

L'estomac de Tristan le réveilla dans un grondement. Il s'assit, ébloui par le soleil qui le fit cligner des yeux. Ce n'est pas normal que ce soit si lumineux sous le lit.

Sauf qu'il n'était pas sous le lit. Il regarda dans les alentours et repoussa le tissu rouge et blanc qui lui avait servie de couverture. D'où venait-elle ? Raine l'avait sûrement mise sur lui. Ça ressemblait un peu à un bandana ou à un foulard.

Un papier de bloc note à côté de lui attira son attention.

Tristan,
Je suis partie parce que j'ai quelques achats à faire. Je t'ai laissé un peu de nourriture avec tes vêtements. Je devrais revenir dans l'après-midi.

Elle avait vraiment une belle écriture, même s'il n'était pas sûr de savoir pourquoi est-ce qu'il s'intéressait à ça. À sa taille, il pouvait détecter les imperfections bien plus facilement.

Il s’inquiéta tout de même que Camila puisse voir la note avant que Raine ne revienne. C'est pourquoi il tira et la décolla du sol. Plutôt satisfait de sa démonstration de force et ayant l'impression qu'il avait en quelque sorte donné un coup de main, il porta le papier sous le lit et le colla sur le cadre.

Après, Tristan se dirigea vers la table de nuit et dévora autant de frites, oeuf et banane que possible. Il faisait passer tout ça avec de grandes gorgées de jus d'orange qui se trouvait dans une petite tasse de la taille d'une corbeille. Même si la nourriture était chaude, il n'en avait rien à faire. Ce petit-déjeuner était mieux que tous ceux qu'il avait eu auparavant et il se sentait chanceux d'avoir quoique ce soit à manger étant donné comment il s'était comporté.

Il remarqua un genre de goutte bleu-verdâtre dans un coin de l'assiette. Il y trempa son doigt et le sentit. Odeur de menthe, comme du dentifrice. Il recouvrit son doigt de cette matière et marcha jusqu'à une seconde tasse pleine d'eau. Utilisant son doigt, il se frotta les dents du mieux qu'il pouvait et recracha dans la tasse.

Puis il alla faire ses besoins, reconnaissant qu'elle se soit souvenu de remettre les livres devant la litière. Ensuite, il s'assit simplement sur le tapis, derrière un pied du lit au cas où Camila entrait. Il attendit et profita du temps pour réfléchir.

Je me demande bien ce qu'elle peut acheter. Peut-être qu'elle est retournée à la librairie pour parler au monsieur qui lui a vendu ce livre. Pourquoi est-ce qu'il a fallu que je sois un tel connard hier soir ? Je me demande si je pourrais faire quoi que ce soit pour être utile...

Il ne voulait pas penser aux entailles. Elle lui avait demandé de ne pas les mentionner, mais il ne pouvait apparemment pas se détacher de ce qu'il avait vu. En plus des nouvelles coupures, il pensait en avoir détecté plusieurs autres, plus anciennes. Ce n'était pas si simple que ça d'y voir clairement avoir son dos bloquant la lumière de la salle de bain.

Il avait entendu avant que des gens se scarifiaient, mais pourquoi? Il ne connaissait personne qui l'avait déjà fait et pour lui ça n'avait aucun sens. Elle était si belle et avait toute la vie devant elle. Il ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable et partiellement responsable même s'il savait que les cicatrices étaient là avant qu'il n'arrive.

Les douces vibrations du téléphone se firent entendre et il marcha jusqu'au lit avant de déverrouiller le portable.

Raine : Tu es réveillé ?

Tristan : Oui, merci pour le déjeuner, il était délicieux. Aussi, je me sens encore très mal à propos d'hier soir.

Raine : Je m'en suis rendu compte, tu t'es endormi par terre. Je t'ai mis une couverture, mais je ne t'ai pas touché...

Elle était encore inquiète au sujet de la règle ! Il pensait bien l'avoir imposé, certes, mais il ne savait plus trop quoi en penser. C'était comme si le dégoût de son propre comportement rendait de telles choses insignifiantes.

Tristan : Merci. J'ai l'impression d'avoir bien plus froid que d'habitude.

Raine : Je m'en suis aussi rendu compte. Je pense que ça a probablement à voir avec ton corps plus petit.

Raine : Je serai de retour dans une heure.

Tristan : Ok, à tout à l'heure alors.

Tristan passa le reste de son temps à tailler sa robe avec son couteau de poche pour qu'elle ne touche plus le sol. Il raccourcit aussi les manches afin d'avoir les mains libres. Il se sentait plutôt fier de ses ajustements, espérant que ça épargne un peu de temps à Raine.

***

Raine revint avec une pile de livres dans les bras. Elle marcha jusqu'au centre de son tapis violet et regarda avec attention avant de déposer ce qu'elle portait.

Tristan sortir de derrière le lit et regarda la pile de livres qui s'étendait au-dessus de sa tête. Il lut quelques uns des titres écrits sur les arrêtes qui lui faisaient face.

La Physique Quantique au Sujet de la Téléportation
La Construction de la Réalité : Les Sciences des Univers Parallèles
Mondes Parallèles : Un Voyage dans la Création

Tristan la regarda, muet. Même après la façon dont il l'avait traitée, elle voulait toujours faire tout son possible pour l'aider à rentrer chez lui. Il prit la parole avant ne plus avoir aucun mot. "Merci... Tellement..."

Elle s'agenouilla pour mieux le regarder. S'appuyant sur ses coudes et ayant croisé ses avant-bras couverts par les manches, sa bouche s'élevait environ à la même hauteur que sa tête. "C'est la moindre des choses." Son souffle avait une odeur fraîche de cannelle.

"Non... Non c'est vraiment beaucoup. Je ne sais pas comment je pourrais te le rendre."

"Tu n'as pas besoin de me le rendre Tristan. J'ai envie de t'aider. Et ne me demande pas pourquoi. J'en ai juste envie."

"D'accord..."

"Je vois que tu as un peu retravaillé la robe ?"

Il regarda son visage. Elle semblait presque déçue ? Il ne pouvait pas être sûr.

Raine dit : "J'espérais que tu remettes tes anciens habits afin que je puisse laver celui-là."

"Ce n'est pas encore sale."

"Tu es définitivement un mâle humain." Il détecta presque un petit soupçon de sourire dans ses mots.

"Je... Oui, mais ce n'est pas sale."

"Ok, ok. Le déjeuner t'a plu ?"

"Oui, vraiment, c'était la meilleure nourriture que j'ai eu depuis le début."

"Tu sais c'est moi qui l'ai cuisiné, Camila ne me fait pas toujours à manger."

Des souvenirs de ses derniers mots lui revenaient. "Je sais... Je... Je suis un idiot."

"Non, ce n'est pas vrai. Je n'aurais pas du dire ça." Elle changea rapidement de sujet. "Hey, pourquoi ne pas te laisser commencer à lire, et je te rejoindrai une fois que j'aurais fini de préparer à manger ?"

L'estomac de Tristan, encore plein de ce matin, protesta. Mais elle n'allait pas s'attendre à ce qu'il mange beaucoup. "Ça me va."

"Avec quel livre veux-tu commencer ?"

"Mmh, je vais attaquer avec la Construction de la Réalité. Ça m'a l'air intéressant."

"Bon choix." Raine retira le livre du centre de la pile et le plaça devant lui. Elle l'ouvrit à la première page.

"Si tu veux, On peut regarder un autre film ce soir. Je te laisserai choisir cette fois." Elle semblait espérer quelque chose.

"Je... Euh... Quel était le nom du dernier film d'ailleurs ?"

"L'orange mécanique."

"Tu l'as mis pour faire une blague ?"

Raine paraissait confuse. "Non... C'est un de mes films préférés. J'avais pensé qu'il te plairait..."

"Oh, d'accord. Qu'est-ce que tu aimes exactement avec ce film ?"

"La musique. J'aime le classique, Beethoven particulièrement. Et puis le film te fait te... Sentir..." Elle le regarda, comme si elle attendait une réponse.

"Quoi ? Sociopathe ?" Tristan sourit à moitié.

"C'est dur à expliquer. Bref, retourne à ta lecture. Il y a beaucoup de livres à découvrir."

"Chef, oui chef."

Raine se leva et marcha jusqu'à la table de nuit. Elle récupéra l'assiette et les petites tasses. "Je vois que tu as essayé le dentifrice ?"

"Oui, merci !"

"Je n'ai pas réussi à te trouver une brosse à dents suffisamment petite..."

"C'est bon. Je suis un garçon, souviens-toi."

De là où il se trouvait il ne pouvait pas en être sûr, mais il espérait qu'elle ait trouvé sa pauvre blague rigolote.

Raine sembla ignorer son commentaire, ou ne ressentit pas le besoin d'y répondre. Alors qu'elle sortait de la chambre, elle dit : "J'espère que tu aimes les sandwiches au thon."

"C'est le cas..." Mais elle était déjà sortie de la chambre.

Tristan se replongea dans son livre et en lu la première page. Étrangement, il la tourna et poursuivit sa lecture.

Ils passèrent le reste de l'après-midi à manger et lire ensemble. Raine alternait entre son bureau (faisant des recherches sur son ordi) et le pouf. Tristan se changea finalement en reprenant ses anciens vêtements après son insistance continue. Ils sentaient vraiment meilleur. Les avait-elle juste mis dans la machine à laver ?

Occasionnellement, elle lui posait des questions sur la physique, auxquelles il n'avait aucune idée de réponse. Il lui avait dit qu'il avait étudié la physique à l'université. Il ne lui avait pas dit qu'il connaissait à peine les premières bases de la physique quantique. Bien entendu, il inventait parfois certaines choses, car c'était un garçon.

***

Lorsqu'il fut l'heure du film, Tristan proposa Godfather. Raine chercha parmi les propositions sur Cinemarica (qui utilisait étrangement la même couleur rouge et blanche que Netflix), mais elle ne réussit pas à le trouver. Alors il choisit Matrix.

Tristan réussit à manger deux morceaux de pop-corn lors du film. Raine se posa dans le pouf et il s'assit sur le tapis avec le grand bol les séparant. A un moment il hésita à lui demander d'être mis sur le pouf lui aussi, mais il ne parvint à demander.

Il se retrouva à regarder son visage pendant une bonne partie du film, essayant de jauger sa réaction lors de certaines scènes. Une fois que ce fut terminé, il commença à regretter son choix de film et demanda bizarrement : "Alors, t'en as pensé quoi ?"

"Je l'ai déjà vu."

"Oh..."

"Est-ce que tu aimerais que je te dise qu'il m'a plu ?"

Quoi ? Pourquoi poserait-elle une question comme celle-ci. "Non... Tu n'es pas obligée de l'apprécier."

"Je blague, j'ai aimé plusieurs passages."

Les mots qu'il utilisa sortirent de sa bouche sans qu'il puisse y réfléchir. "Lesquels, quand le film s'est terminé ?''

Raine sourit à moitié même s'il pensait qu'elle faisait semblant. "Tu es drôle." Elle se leva, emportant avec elle le bol presque vide désormais. "Bon, je dois m'absenter pour une petite heure. Mets toi à l'aise ou repose toi si tu veux, et se revoit demain."

Raine sortit de la chambre et Tristan resta simplement assis là, choqué. C'était terrible. Sa mauvaise blague n'avait rien fait. Cependant, il avait parfois l'impression qu'elle avait plusieurs personnalités, comme s'il parlait à une gentille fille attentionnée et à un cadavre en même temps. Il ne se considérait sûrement pas comme étant un Casanova, mais les choses étaient juste étranges, comme s'il y avait une tension entre les deux.

Et ça revient, qu'est-ce que j'attends de tout ça, une relation amoureuse ? C'est n'importe quoi.

Tristan retourna sous le lit et réfléchit au comportement de Raine. Où allait-elle à cette heure-ci de la nuit ? Il devait être au moins 23h. Bien sûr certaines filles sortaient le samedi soir, mais juste pour une heure ?

Les questions ne cessaient de se multiplier, jusqu'à ce que le marchand de sable ne décide de venir le rencontrer.

***

Le bruit léger de la porte en train de se refermer réveilla Tristan, comme s'il avait enclenché un moyen de réveil à son retour avant de s'endormir. Il l'écouta entrer dans la salle de bain, fermer la porte puis allumer la lumière.

Il attendit quelques minutes, mais ses frissons ne lui permirent plus de se rendormir. Il contempla ce qu'elle pouvait être en train de faire.

Autant qu'il le refusait, il savait qu'à un certain niveau il était responsable de tout ça. Il ne pouvait oublier les images de ses avant-bras lacérés. Merde. Il ne pouvait pas continuer à ignorer ça.

Une fois qu'il atteignit la porte de la salle de bain, Tristan resta immobile à l'observer, encore une fois déphasé. Il ne pouvait pas juste toquer, si ?

La porte était à peine entrouverte. Le bord le plus proche de la charnière émettait un petit filet de lumière. Il semblait manquer un carreau sur le sol. Il se coucha sur le ventre et glissa sa tête ainsi que ses épaules sous la porte. Son t-shirt s'accrocha à une écharde il se déchira en partie, jusqu'au bas de son dos. Finalement il réussit à pénétrer dans la salle de bain et il fit face au dos de Raine alors qu'elle était assise en tailleur, dirigée vers la baignoire.

Il marcha sur le tapis rouge et continua jusqu'à ce qu'il soit juste derrière elle. Elle portait un t-shirt violet à manches courtes et tenait son bras gauche au-dessus de la baignoire. Son bras droit bougeait doucement.

Il marcha à gauche d'elle jusqu'à ce que sa jambe le bloque pour avancer plus, et il leva les yeux. Sa main droite tenait un couteau jaune, un de ces couteaux au style militaire qui se déployait automatiquement. Il pouvait voir du sang couler depuis son bras gauche dans la baignoire.

Son visage ne montrait aucune expression de douleur, d'irritation ou quoi que ce soit. C'était ses yeux qui le dérangeaient le plus. Vitreux et sans vie, ils fixaient son bras, semblant absorber toute sensation de douleur. Il doutait qu'elle puisse le voir même s'il se mettait à sauter.

Il l'observa faire glisser le bord coupant de la lame contre sa peau, incapable de voir autre chose que le sang couler de l'entaille. C'en était trop pour lui. Des larmes commencèrent à se former et il s'appuya contre sa jambe. Il plaça sa main sur une portion de peau nue à travers une écorchure dans son jean.

Raine sursauta et retira son bras, surprise. Elle le regarda et se concentra lentement sur lui, comme si elle sortait d'une transe. "Tristan... Tu ne devrais pas être là... Comment est-ce que tu es entré ?"

Tristan leva simplement les yeux, des larmes coulant sur ses joues.

Raine continua. "Tu ne devrais pas... Tu dois partir. J'ai bientôt fini, on pourra parler après si tu veux."

Tristan chouina. "Raine... Il faut que tu arrêtes."

Raine secoua la tête. "Je ne peux pas, Tristan. Je suis désolée si ça te blesse. Vraiment. Mais je ne peux pas. Tu as tes règles, j'ai les miennes. N'essaie pas de me faire arrêter. Je ne peux pas."

Tristan cessa de pleurer, se sentant presque en colère à nouveau. "Je m'en fiche des règles, tu peux me toucher ou même me prendre dans tes mains si tu veux, je m'en fiche ! Arrête juste, je t'en supplie !"

"Non... Tristan je suis désolée."

"Pourquoi, je ne comprends pas pourquoi !"

"C'est difficile à expliquer..."

"Alors explique moi !" Tristan surveilla sa colère, ne voulant pas que la nuit dernière se répète. "Je suis désolé, c'est juste que je ne comprends pas, c'est tout."

"Je sais, mais je te promets que tout ira bien. Crois-moi."

Tristan hésita. "Ça t'aide, c'est ça ? Ça t'aide à supporter la douleur."

Raine le regarda simplement, sans réponse.

Tristan enfouit sa main dans sa poche et en sortir son couteau. Il déverrouilla la lame. "D'accord, alors si ça t'aide, laisse moi t'aider !"

Raine cligna des yeux, apparemment étonnée. "Que... Qu'est-ce que tu veux dire ?"

Tristan eu du mal à prononcer les mots. Ils avaient un goût de sable dans sa bouche. "Laisse moi te couper."

Elle ne répondit pas pendant quelques instants. Ils continuèrent simplement leur duel de regard. Finalement elle dit : "Ok."

Il ne s'attendait pas à ce qu'elle dise ça, à ce qu'elle acquiesce. Intérieurement, il espérait que sa lame bien plus fine lui ferait moins mal, que ça lui permettrait de se soigner plus vite. Cependant, il avait aussi l'impression de vouloir pénétrer dans son monde. Il voulait la comprendre mieux et essayer de diminuer le gouffre émotionnel qu'il sentait entre eux deux.

Raine baissa doucement son bras gauche afin qu'il soit posé sur sa jambe, devant lui. Le coeur de Tristan accéléra lorsqu'il vit l'état de son bras d'aussi près. Il ravala le vomis qui montait dans sa gorge.

Sur la partie supérieure de son bras massif, des gouttes de sang de la taille d'un poing se présentaient, mélangées à des entailles horizontales. Plus loin, vers son coude, les coupures étaient plus larges. La chair d'une écorchure en particuliers était si ouverte qu'il doutait seulement que ça puisse se guérir correctement. De plus claires et plus vieilles cicatrices occupaient quasiment tout le reste de son avant-bras.

Tristan pouvait sentir le poids de ses yeux -non plus concentrés sur son bras- peser sur lui. Il marcha vers l'avant de son bras, la partie entre son poignet et l'entaille fraîche la plus proche.

Raine parla doucement. "Ça fonctionne mieux si tu coupes une cicatrice."

Fonctionne mieux ? Qu'est-ce qui fonctionne mieux ? Ça semblait être l'opposé de ce qu'il voulait faire. Il n'eut pas le temps de plus y penser, il ne pouvait pas lui laisser le temps de refuser sa proposition. C'était important.

Il apporta le couteau au bout de son bras et y plaça la lame sur une coupure qui ne semblait pas très vieille, peut-être pas plus âgée que deux ou trois jours.

Sa voix pénétra encore dans son esprit, accentuant cette scène morbide. "Oui, c'en est une bonne."

L'entaille elle-même paraissait bien plus large que sa lame, ce qui était logique. Il ne savait pas vraiment si il allait être capable de la couper.

Mais il réussit. Il appuya et enfonça son couteau de deux ou trois centimètres dans l'ancienne blessure.

Raine murmura : "Plus profond."

Il appuya encore plus jusqu'à ce que la moitié de la lame disparaisse sous sa peau.

"C'est bien."

La lame ne voulait pas bouger lorsqu'il tirait dessus. Capitulant face à un besoin d'urgence, Tristan tira plus fort et commença doucement à ouvrir sa peau. Du sang coulait et recouvrait l'intégralité de sa lame. Il continua à tirer et à tracer dans l'ancienne cicatrice. Il espérait pouvoir en quelque sorte absorber la douleur afin qu'elle n'ait plus besoin de souffrir.

Il ne pouvait plus réfléchir. Il ne pouvait plus sentir les larmes couler le long de ses joues. Il ne remarquait pas les larmes plus grandes qui tombaient d'au-dessus et l'éclaboussaient comme de la pluie. Une de ces énormes larmes atterrit sur la plaie qu'il venait de créer, envoyant une mixture de sang et de pleur dans toutes les directions, s'incrustant dans son t-shirt et sa chevelure.

Lorsqu'il atteignit la fin de la cicatrice, des tremblements secouèrent le bras alors que des larme continuaient à tomber depuis là-haut. Il lâcha le couteau couvert de sang, marcha jusqu'à son pouce de la taille d'un tronc d'arbre et s'assit à côté, agrippant le sommet du doigt avec ses mains. Il ne savait pas quoi dire ou faire, il voulait juste tenir sa main et c'était le seul moyen qu'il avait trouvé pour le faire.

***

Pour la première fois elle ressentit quelque chose, elle ressentit quelque chose vraiment différent de l'éternel douleur déjà vue et du vide qui composait sa vie d'aussi loin qu'elle ne se souvienne. Lorsque Raine sentit la minuscule main s'accrocher à son pouce, quelque chose dans son âme bascula. C'était comme si une partie d'elle qu'elle ne connaissait pas venait soudainement de se manifester et avait fusionné avec son être. Quelque chose de profond, quelque chose qu'elle pensait mort la réchauffait doucement et faisait se dissiper la douleur. Elle n'avait en aucun cas ressentit une libération de sa prison, mais c'était plus comme si quelqu'un d'autre l'avait rejoint dans son confinement. Elle ne sentait plus aussi seule.

Gentiment, elle apporta son index sur sa main et la serra entre lui et son pouce. Elle ne se souvint pas s'être arrêtée de pleurer. Aucun des deux ne s'en souvint.

 

Raine by dood07

Une fois que leurs larmes cessèrent de couler et qu'elles eurent sécher, Tristan remarqua la chaleur qui se répandait dans son bras droit. Le bout des deux doigts de Raine enveloppait complètement sa main et son poignet. C'était la première fois qu'il lui permettait réellement de le toucher.

 

Il s'était attendu à ce que ce moment -s'il se présentait un jour- soit terrifiant, mais il semblait bon et juste. Il pouvait sentir des reliefs sur le bout de ses doigts, ainsi qu'un timide battement dans ses veines.

 

Comme ayant senti son attention se dissiper, Raine parla de là-haut. "Est-ce que je te serre la main trop fort ?"

 

Un peu surpris par le bruit après un si long silence, Tristan tourna la tête mais il ne pouvait pas vraiment voir son visage à cause de la position de son corps. Il racla sa gorge. "Non... Non, pas du tout. J'étais juste en train de penser."

 

"À quoi est-ce que tu pensais ?"

 

"Je pensais à tes doigts, j'arrive toujours pas à me rendre compte à quel point ils sont grands par rapport à ma main, ou même comparés à moi."

 

"Est-ce que ça te fait peur ?"

 

"Étrangement non. Je pensais que ça serait le cas, mais ils sont si... Chauds."

 

"Peut-être que tu as juste froid. J'ai vu que tu avais déchiré ton t-shirt et que tu t'es plutôt bien éraflé le dos. Est-ce que ça va ?"

 

"Oui, vraiment bien. Ça ne fait pas mal."

 

"Tant mieux. Mais j'ai un peu d'antiseptique qui pourrait t'aider... Si tu veux."

 

"Merci, peut-être plus tard."

 

Ils restèrent assis quelques secondes de plus avant que Raine parle encore, timidement, comme si elle marchait sur des oeufs. "Tristan, tu as bien dit que ça ne te dérangeait pas si je te tenais, n'est-ce pas ?"

 

Il ne se souvenait pas avoir utilisé cette exacte expression et malgré le calme de la situation, ses mots alertaient en lui un sentiment d'anxiété. "Tu veux dire... Me porter ?"

 

"Oui... J'aimerais voir ton visage. Je promets que je ferai très attention !"

 

"Je sais que tu feras attention. C'est juste que... Si tu n'essayes pas de m'attraper, alors peut-être. Je vais juste m'asseoir dans ta main." Même si c'était lui qui prononçait ces mots, Tristan avait du mal à croire ce qu'il disait. S'asseoir dans le main d'une fille ! C'était tellement irréel. Mais il lui faisait véritablement confiance, et c'était ce qu'elle désirait. Si ça l'aidait à se sentir mieux, alors il le ferait.

 

"D'accord, je ne t'attraperai pas." Raine relâcha sa main et étala sa propre main sur le sol, avec ses doigts pointant légèrement vers le haut.

 

Tristan se leva et étira ses jambes. Il regarda en bas vers l'énorme main -à la fois puissante et gracieuse. Sa simple beauté féminine contrastait avec la multitude de plaies en sang sur son poignet et son avant-bras.

 

Ses ongles -faisant chacun la taille d'une main- étaient limés et sans vernis. Les lignes de sa main se baladaient parmi de plus petits reliefs qui formaient ses empreintes digitales et palmaires. Il pouvait voir bien plus de détails que sur sa propre main.

 

Réalisant que cela faisait peut-être une minute qu'il observait, si ce n'est plus, il fit un pas en avant. Il leva ensuite son pied droit par-dessus le pouce et marcha avec légèreté sur sa paume de main, irrationnellement inquiet que son poids puisse lui faire mal. Lorsqu'il ne sentit aucune réaction négative, il apporta son autre pied et resta debout sur le bord de la main.

 

La sensation était presque trop forte pour lui. La peau sous ses pieds semblait vivante, car elle l'était réellement. Elle supportait son pied comme un matelas, mou et pourtant ferme à la fois. Il marcha jusqu'au centre de la main et s'assit, reposant son dos contre les doigts de Raine. Tout en étant assis, ses doigts s'étendirent jusqu'au-dessus de sa tête et il sentit sa main s'ajuster légèrement pour s'adapter à la forme de son corps. Tristan étira ses jambes, ses pieds n'atteignant pas son poignet.

 

Sa chaleur s'infiltrait dans son corps, plusieurs fois plus puissante que celle du bout de ses doigts. Son pouls semblait fusionner avec le sien alors qu'il posait ses mains sur la sienne. Presque vertigineux, il n'entendit quasiment pas ses mots.

 

"Tu es prêt ?"

 

"Oui..."

 

***

 

Raine réussit à peine à retenir un souffle de stupeur lorsque Tristan marcha sur sa paume de main. Elle ne voulait pas l'effrayer. Il paraissait si léger, pas plus de quelques grammes.

 

Son coeur s'arrêta lorsque Tristan s'assit. Sa température monta en flèche alors que son petit corps s'appuya contre ses doigts. Elle ajusta sa main afin d'augmenter la surface de contact autant que possible, à la fois pour le garder au chaud et aussi car elle ne pouvait s'en empêcher.

 

La déchirure dans son dos en exposait une partie, qui touchait le milieu de son majeur. Elle se retrouva involontairement en train de se concentrer sur la sensation de sa peau contre la sienne jusqu'à ce que ses paumes de main touchent la sienne, la ramenant à la réalité. Elle ne pouvait pas se comporter bizarrement devant lui maintenant, pas lorsqu'il lui faisait finalement confiance pour faire ce genre de chose.

 

Elle s'était battue avec le besoin de le porter depuis le premier instant où elle avait eu le droit de le regarder. Les films avaient été de la torture à l'état pur. Elle avait prétendu, mais elle ne s'était concentrée sur aucun d'eux. Elle ne pouvait s'arrêter de penser à lui. À quoi est-ce qu'il pensait ? À quoi est-ce que ça ressemblerait de regarder un film en le tenant contre elle ? Le bol de pop-corn entre eux deux lors du dernier film semblait avoir été un vaste océan qui la séparait de ce qu'elle désirait secrètement.

 

Elle se sentit comme une idiote lorsque le second film se termina. Elle ne savait vraiment pas quoi dire, et honnêtement elle ne se souvenait de rien de tout le film. Elle savait juste qu'elle devait vite sortir de la chambre, ou bien elle ne serait pas capable de résister aux règles qui lui avaient été données.

 

Elle ne croyait pas que ses pensées étaient sexuelles, même si elle mentirait en disant que l'idée ne lui avait pas traversé l'esprit. Mais c'était plus comme si elle avait envie de le protéger. Elle avait voulu l'aider depuis son premier e-mail, et le désir n'avait fait qu'accroître chaque jour. Il était presque tout ce à quoi elle pouvait penser.

 

Elle avait continué à se couper bien sûr. Elle allait devenir folle si elle s'arrêtait de le faire. Cela n'avait vraiment rien à voir avec Tristan. Lorsque Tristan lui avait crié dessus elle avait été blessée, vraiment. Mais c'était une bonne blessure en quelque sorte. Ça lui avait montré qu'il tenait fortement à elle, même si cette émotion avait été de la colère. Ce n'était rien qui se rapprochait de son passé, rien qui s'apparentait à l'horrible et douloureuse solitude, le manque que seules les entailles pouvaient combler, même si ce n'était que temporaire. Au final, si elle continuait à se couper c'était car elle voulait protéger Tristan, elle tenait à maintenir le peu de santé mentale qu'il lui restait.

 

Et pourtant, son coeur se brisa lorsqu'elle vit l'impact de ses actions sur lui. C'était comme si un être aimé vous disait qu'il vous détestait lorsque vous savez au fond de vous que vos actions sont pour le bien-être même de cette personne, et qu'ils ne pourraient jamais le voir.

 

Cependant, ce qu'elle ressentait désormais faisait s’éclipser tout le reste. Elle ne savait pas si le sentiment allait durer, mais elle ne désirait rien de plus que de rester là, assise, avec Tristan dans sa main, pour toute l'éternité. Elle voulait geler le temps, ou au moins se souvenir du moindre détail afin de pouvoir rejouer la scène encore et encore dans son esprit. Elle allait devoir le faire, une fois qu'il serait rentré chez lui. Elle ne pouvait pas y penser maintenant, elle ne le supportait pas.

 

Après que Tristan se soit bien installé, elle demanda : "Tu es prêt ?"

 

Il lui répondit : "Oui..."

 

Ce n'est que plus tard qu'elle réalisa que c'était à elle qu'il fallait poser la question.

 

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